Tous les traducteurs ou presque vous le diront: ça enfle. Comprenez: la traduction est toujours plus long que l'original. C'est ce qu'on appelle, dans le jargon, le "coefficient de foisonnement". Selon certains experts (ouch!), il serait de 20% entre l'anglais et le français. La raison à ce miracle boursouflant? Oh, on vous dira que c'est parce que l'anglais est fortement monosyllabique, le français formidablement cartésien, etc. Bref, il se produit une augmentation du volume (ou de la masse?) entre la langue d'arrivée et la langue de départ. Allons bon. Tant mieux pour le traducteur, certes, puisqu'il est payé au signe. Mais n'est-on pas là en présence d'un fabuleux contre-sens? L'expérience montre – la mienne, en tout cas – que plus ce fumeux coefficient tend vers zéro, plus ardente est la traduction. On pourrait même considérer la traduction comme une écriture à contrainte: same thing but different.
En fait, le contre-sens est le suivant: Il y aurait une langue de départ (l'anglais, par exemple) et une langue d'arrivée (le français, en l'occurrence). Belle métaphore ferroviaire, mais qui semble se tromper gravement de "locomotif". Tout d'abord, parce que la soi-disant langue de départ n'est pas l'anglais, mais la langue pratiquée par l'auteur (qui, lui, en revanche, est parti de l'anglais – l'a quitté – pour arriver – échouer? – dans sa propre langue). Je ne traduis pas de l'anglais, mais de Pynchon, Rushdie, etc. Mais le contre-sens va plus loin encore. Car, disons-le tout net au risque de choquer les roux et combaluzier que sont nos sourcistes et ciblistes, la langue de départ, pour le traducteur, c'est le… français! Et la langue d'arrivée, en revanche, ce n'est pas le "français" mais l'autre langue que va m'obliger à écrire le livre original.
Quand je traduis, je pars du français, c'est de lui que je m'élance, à son attraction que j'essaie d'échapper le temps d'un voyage dans une troisième langue (celle de l'auteur, du texte). Je pars du français-terreau pour arriver à un autre français, un français-végétal, qu'il me faut faire pousser en jardinier de l'improbable. Je traduis, pour reprendre la pensée de Meschonnic, une poétique, pas une mécanique. Mon problème n'est donc pas le "foisonnement", mais la fièvre: ce degré d'ébullition auquel a été portée la langue de l'auteur, et que je suis censé "revivre" dans un autre corps.
Ni départ ni arrivée — mais:: une péripétie – du grec περιπέτεια (peripeteia), de περιπετής peripetès: « qui tombe autour, qui tombe sur ». Choir, donc.
Et quel est le "coefficient de foisonnement" du français vers l'anglais? Il serait amusant alors de faire traduire et retraduire un texte en aller-retours successifs (avec différents traducteurs) pour voir si d'une nouvelle on peut accoucher d'un roman!
RépondreSupprimerSuperbe texte ! Pourriez-vous me traduire cela: HYPNAGOGIE I avec un coefficient de foisonnement zéro en anglais (sorte de voyage à l'envers offert au traducteur de langue française), quand vous en aurez le temps bien sûr. Merci d'avance... en lien sur http://lapartdumythe.blogspot.fr/
RépondreSupprimerBien amicalement, G.MAR
Désolé, je sais pas faire dans l'autre sens…
RépondreSupprimerTrès beau texte Claro, dont je partage l'inspiration. Et alors, le coefficient de foisonnement est-il le même en traduisant de Pynchon, de Rushdie ou de Gass ?
RépondreSupprimer(gloups)(C'est beau)
RépondreSupprimerdésolée , les grenouilles n'ont rien à faire dans ce processus :)
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