vendredi 15 novembre 2013

Les weight-watchers de la littérature

Dans un article paru récemment sur le site Salon, Laura Miller s'interroge sur les "longs livres", ces béhémoths qui seraient selon elle la hantise des critiques littéraires. N'ayant rien à dire d'intéressant, elle en arrive à ce double constat: quand un long livre est bon, c'est super; quand il est mauvais (ou difficile à lire), c'est fichu. Donna Tartt, oui; Thomas Pynchon, non. Je schématise à peine l'indigence de son propos. Bon, il faut dire que pour elle, Docteur Sleep, de Stephen King est un "gros" livre. On n'ose imaginer sa réaction si on l'enfermait dans une cave avec le plus beau livre du monde, Miss Macintosh, My Darling, de Marguerite Young (750 000 mots).
Il y a trois ans, c'était le jeune écrivain débutant Garth Risk Hallberg qui, sur le site The Millions, se penchait sur la même question. Son e-papier est un peu plus intéressant. D'abord parce qu'il rappelle les raisons contextuelles qui expliquent longtemps l'existence de "longs romans" (ou "big books"): la parution en feuilletons, dont le roman victorien est l'exemple par excellence. Ensuite parce qu'il soulève un paradoxe lié à notre époque: la profusion actuelle des "gros livres" se heurterait aux troubles déficitaires de l'attention croissant qui sont notre DFA (désormais fatal apanage). Mais Hallberg remarque néanmoins que plusieurs mammouths de papier on réussi à franchir le rubicon de la critique et les alpes du lectorat: Littell et ses Bienveillantes, Bolaño et son 2666, Chris Adrien et The Children's Hospital, Wallace et Infinite Jest, etc. Hallberg postule également que, rapport qualité/poids, le lecteur fait franchement une affaire. Imperial de Vollamnn serait plus "rentable" que tel petit opus de Mario Bellatin. Enfin, et surtout, lire de longs livres c'est, toujours pour le jeune Garth, "entrer en résistance". Il faut dire que Garth Risk Hallberg prêche pour sa paroisse: il vient en effet de terminer un livre de 900 pages  – City on Fire – dont les droits ont été achetés 2 millions de dollars par l'éditeur américain Knopf. Mais attendons de lire la chose avant de nous réfugier dans le moelleux cocon de nos troubles déficitaires de l'attention…
Bref, le débat sur la taille des livres est finalement assez vain. Mais il est révélateur. Pour la critique, la notion de "forme" n'est plus structurelle mais pondérale. On voit déjà venir le jour où on vous demandera: "Alors, le nouveau livre de X, il est en forme?" ou "Dis donc, il aurait pas un peu maigri, le recueil de nouvelles de Y?" ou "Je serais le livre de W, je ferais attention: il a pris un peu trop de pages ces derniers temps", ou "T'as lu le bouquin de S ? Il entre même plus en librairie depuis qu'il se bourre de flux de conscience", ou, "Elle devrait suivre un régime, la saga de F."
Heureusement, tout le monde sait que lire c'est faire de l'exercice…
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Illustration © Eric Delcroix, Redu - village du livre - monument livre

8 commentaires:

  1. Un jour je m'étais demandé pour combien la question économique du prix du papier entrait en compte dans la publication d'un livre épais (pas dans le sens québecois du mot, encore que, parfois), et Laura Miller pense-t-elle peut-être à cela : un gros livre est réussi et se vend : bingo car on vend plus de papier ! Grosse marge, pour le même nombre de ventes qu'un livre mince, c'est mieux (mais de combien ? j'en sais rien moi). Mais si c'est un échec (commercial, on le dit), ouille, l'investissement non rentabilisé pour beaucoup de papier fait d'autant plus mal (au niveau des investissements).

    Bien sûr, ce serait bête et méchant de penser ainsi, n'est-ce pas ?
    Mais… même Irène Lindon herself : "le livre est un objet industriel".

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  2. Sous un autre angle : je suis ravie quand j'entame un long livre dont j'attends beaucoup (pour ne pas être à la mode, je me suis saisie l'année dernière de "Quelle Epoque!" de Trollope, environ 850 pages en un seul volume, imprimées en tout petit). Le Maréchal Absolu n'est pas une petite affaire non plus. Plus j'approche de la fin d'un long livre, plus je ralentis ma lecture et plus j'augmente ma concentration car l'angoisse est celle-ci : qu'est-ce que je vais lire après?

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  3. Bonjour Claro,
    Je me posais une simple question également un brin cynique certes mais:
    Si ces critiques sur les longs livres - Qu'est-ce d'ailleurs un long livre comme vous le dites, un livre qui dépasse les 600 pages? - était également une problématique due à l'émergence de nos manières de consommer de la lecture de nos jours?
    Il faut que ce soit bref et concis, pas trop long #générationtwitter #hashtags pour éviter de "perdre" le lecteur en cours de route?
    Surtout quand j'entends des amis - connaissances - autour de moi, ne pas oser lire des livres qui sont justement trop longs car il y a bien d'autres choses à faire (mais lesquelles?).

    Et du coup, les longs livres faisant peur sur les étalages des libraires, ne se vendant pas? Une démarche économico-libraire logique (quoique un peu idiote à mon sens), mais un brin agaçante.
    Ceci dit, les longs livres ne sont pas forcément synonyme de bons livres, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

    Cordiales salutations.
    Un lecteur de votre blog depuis un petit moment.

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  4. Monsieur Claro,

    Et si les longs livres ne faisaient peur que parce qu'ils seraient "théoriquement" invendables dans les librairies? Après tout la #générationtwitter n'apprécie pas les trop longs articles, les trop longs textes, le "blabla" littéraire qui dépasse les quoi, 600 pages?

    J'entends souvent autour de moi certes personnes dire que certes c'est bien de lire (ça me rend un peu triste cette mentalité mais bon) mais si le livre est trop long, ils préfèrent regarder des séries ou faire autre chose...

    Hum.
    Ceci dit, ce serait facile de taper sur la génération Y, je suis dedans d'ailleurs, mais tout de même, cette consommation de culture effrénée et de rentabilité dans nos loisirs ne pose-t-elle pas problème avec les longs livres?

    Réflexion déjà vue sans aucun doute, mais tout de même, qu'en pensez-vous?
    Nb: en complément je ne dis pas qu'un long livre est synonyme de bon livre non plus n'est ce pas...

    Un lecteur assidu de votre blog.
    Mes meilleures salutations à vous.

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  5. Je suis surpris que tu n'évoques pas le destin des gros livres en France et le "cas" (ce gros mot) Moix, et surtout les terrifiants bons mots qu'il a suscités chez les "critiques" d'ici: lire un livre de 1000 pages semble unanimement in-envisageable.

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    1. Ah, Moix. Oui, j'aurais pu l'évoquer, mais il m'a semblé que son poids était surtout l'effet d''une enflure qui n'a rien à voir avec la longueur…

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  6. Certes, certes, tu as ô combien raison, mais la "maigreur" suscite chez certains les mêmes moues dégoûtées et le même mépris à couper au couteau...Pour moi, "Mille milliards de milieux" pèse strictement le même poids que "Cosmoz", la qualité de l'écriture - présente dans les deux cas, et seule mesure de toutes choses en littérature - ne se comptant pas au nombre de pages noircies, fort heureusement d'ailleurs! Il se peut qu'en disant ça je ne dise rien, quoique...Qu'en dis-tu?

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  7. Miss Macintosh like McElroy's Women and Men has this notoriety of being an unfinishable brick even for the fans of Pynchon and Gaddis. "The most beautiful novel in the world" is a very strong statement, and I am actually tempted to check it out. Thanks for arousing my interest.

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