Jacques Barbaut écrit peu mais bien. Il y a trois ans, les éditions NOUS publiait A As Anything. Anthologie de la lettre A. Cette fois-ci, Barbaut délaisse l'alphabet pour le calendrier – car telle est sa matière, et le voilà chronophile –, nous livrant une chronique de l'année 1960. Certes, c'est l'année de la naissance de Barbaut, mais ce dernier n'est pas d'humeur autobiographique – c'est tout le contraire. 1960 est un livre à la croisée de Perec et de David Markson, où, en se faisant compilateur, l'auteur recherche, par le choix des éléments retenus, un compromis séditieux entre effacement et création. Un almanach a pour vocation d'être une œuvre sans auteur. Qu'à cela ne tienne! Barbaut en fera l'œuvre d'un auteur qui aime à se dissoudre dans son œuvre.
Au fil des pages, des années, des jours, nous sont contés (comptés?) les faits (les effets?) marquants (marqués?) qui ponctuent l'an 60 – car il s'agit bien ici de ponctuation: l'année est une longue phrase qu'il s'agit de ponctuer, par la virgule des événements, le tiret des anecdotes, la parenthèse des aveux, les guillemets des choses dites, les appels de note à la réflexion.
Sous l'apparente factualité dont s'enorgueillit modestement ce recensement des jours gît le projet du livre: faire advenir le sens dans les interstices, écrire à travers la sélection opérée. Comme chez Markson (cf. Arrêter d'écrire), les figures invitées sont souvent des écrivains, non que ce soit eux qui fassent l'Histoire, mais plutôt parce que ce sont eux qui font des histoires (au sens de : chiens dans jeu de quilles). Barbaut, qui sait son nom celui d'un poisson, peut ainsi, parfois, se glisser dans la page, comme en ce 23 janvier, quand l'océanaute Jacques Picard s'en va explorer les grands fonds du Pacifique nord:
Sous l'apparente factualité dont s'enorgueillit modestement ce recensement des jours gît le projet du livre: faire advenir le sens dans les interstices, écrire à travers la sélection opérée. Comme chez Markson (cf. Arrêter d'écrire), les figures invitées sont souvent des écrivains, non que ce soit eux qui fassent l'Histoire, mais plutôt parce que ce sont eux qui font des histoires (au sens de : chiens dans jeu de quilles). Barbaut, qui sait son nom celui d'un poisson, peut ainsi, parfois, se glisser dans la page, comme en ce 23 janvier, quand l'océanaute Jacques Picard s'en va explorer les grands fonds du Pacifique nord:
— à la lueur des projecteurs: une, puis deux crevettesrosâtres passent devant le hublot, puis un poisson plat,d'espèce inconnue —
D'espèce inconnue, certes, mais aux mouvements vifs et rusés. A l'instar d'un Frédéric Léal, Barbaut laisse son sujet adopter la page: le nouveau franc apparaît en grisé, comme par frottement du crayon sur le papier; les invectives du capitaine Haddock rythment la chasse au Yéti; il y a des réclames (Bic, what else?), des blasons, des presque calligrammes, des timbres, des encarts, des dessins… On croise Nabokov et Arno Schmidt, Pinget, Camus et Massu, comme autant de saints probables ou incongrus de ce voyage dans le temps.
Avec cet éphéméride attaché à son année zéro, Barbaut nous propose un collage sans colle autre que la vibration des faits, accompli avec les ciseaux non de l'arbitraire mais de la connivence: connivence avec ce qui, dans les plis des jours, fonde la possibilité de son arrachement au silence amniotique.
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Barbaut, 1960, éd. NOUS / disparate, 19, 60 € (ça va de soi…)
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Illustration: © André Britz
Ô ! mOn beau mirOir !
RépondreSupprimerDes deux mains - la vôtre et la mienne :
RépondreSupprimerhttp://www.sitaudis.fr/Parutions/1960-de-jacques-barbaut.php
Bien à vous, B. Fern
http://www.politis.fr/1960-de-Jacques-Barbaut-Une-annee,24463.html
RépondreSupprimerHo... : "connivence avec ce qui, dans les plis des jours, fonde la possibilité de son arrachement au silence amniotique".
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