lundi 25 novembre 2013

Une langue pour souci: le vaillant Goldschmidt

On a donc pu faire la connaissance de Georges-Arthur Goldschmidt, grâce à la fine fleur de la revue La femelle du requin et les libraires de l'Acacia, à la faveur d'une rencontre croisée, vendredi dernier. Goldschmidt, traducteur de Nietzsche, Kafka, Handke, Benjamin, supporte ses quatre-vingt-cinq ans avec un frais sourire, conscient d'avoir connu pire que ce qu'il appelle sa "vieillerie". Quand il parle écriture, quand il évoque la littérature, quand il s'interroge sur la traduction, son souci reste le même: être clair et humble et ne jamais oublier quel salut fut pour lui la "langue", ce français qu'il apprit entre autres par les punitions scolaires, assorties de fessées à l'ancienne (branches de coudrier!), ce français qui montait des dictées de La Bruyère aussi bien que du poste de radio, quand les sanglots de Verlaine résistaient au-delà de la Manche. Ce soir-là, à l'Acacia, devant une petite vingtaine de personnes, il a rappelé qu'on ne vit pas la langue de la même façon quand on a été jouet de l'histoire, quand on n'a pas choisi son destin et qu'enfant on a dû fuir, quitter ses parents, se cacher et découvrir qu'on était juif alors qu'on se croyait allemand et protestant.
Ecrire sur soi? Goldschmidt n'y pensait guère, avant que Denis Roche insiste pour que l'homme entreprenne ce trajet-là, et nous découvrons alors le rôle qu'a joué dans nos vies respectives l'auteur de Louve Basse, point commun qui nous émeut autant que de nous savoir tous deux traducteurs et écrivains. Il fut ce soir-là question de traduction, bien sûr ("l'allemand est une langue assez con, quand même"), mais aussi de Rousseau, d'onanisme, de piétisme, on a parlé de Sebald, de Kafka et de Vialatte ("qui traduisait moins bien certains passages quand sa germaniste de femme était absente"), d'un livre que Goldschmidt adule (Anton Reiser, de Karl Philipp Moritz). On a souri aussi en sa compagnie légère et profonde, surtout quand on a compris que Goldschmidt, à dessein, disait systématiquement SNCF au lieu de NRF… Et puis on est reparti, ravi d'avoir croisé quelques heures le fer de le complicité avec ce "vaillant". On est reparti, certes, mais pas seul: avec, en poche, Une langue pour abri, court texte paru en 2009 qui évoque les années de guerre et le rapport à la langue – on vous en parle bientôt.

4 commentaires:

  1. (hâte)(que tu parles de cette langue sans abri, qu'on aura peut-être lu avant que tu en parles, du coup)(et tu as dit déjà plusieurs fois que ton parcours devait à Denis Roche mais pas tellement en quoi)(curiosité)

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  2. C'est bas et cruel de me rappeler que mon TGV n'est arrivé à Montparnasse QUE le samedi à 19h11, me faisant manquer le plaisir de cette rencontre ! Pour essayer de me consoler, je vais foncer dans le première bonne librairie que je vais croiser pour m'offrir Une langue pour abri, na !

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  3. Il y a des rencontres qui sont, au sens fort, inévitables, à la fois dans leurs prémisses, dans leur matérialité et dans leurs prolongements (que j'entrevois féconds): celle-ci fut, à coup sûr, l'une d'elles...Absent de Paris, je ne pus y être; comme je le regrette!

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  4. quelle chance tu as de découvrir ce livre. L'avoir lu et le relire c'est bien, mais le découvrir... je me souviens d'une belle émotion

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