jeudi 11 avril 2013

L'homme aux phobies

Du déferlement de haines autour de l'homosexualité, on ne sait plus quoi penser. Ni s'il faut penser, ou foncer dans le tas. On aurait pu croire que la société avait évolué depuis la création du F.H.A.R. en 71 et l'explosion du MLF. On aurait pu, mais bon. La naïveté a ses limites. Pourtant, on a essayé de faire comprendre que, par exemple, eh bien non, le sida n'était pas le fruit d'une union entre grands singes verts et petits pédés noirs. Ouhou! Wake up! Mais non. Rien à faire. A croire que toutes les sorties de placard n'ont juste été qu'un side-effect du gauchisme. A croire que l'ouverture d'esprit fut un amusant mais pénible courant d'air. Bon, faut dire que maintenant que tout le monde est de droite, n'est-ce pas, plus la peine de faire semblant de supporter les pédés et les gouines. On a beau faire des campagnes publicitaires pour expliquer que, raté, ce n'est pas une maladie, ça ne va pas disparaître, rien à faire, une bonne frange de la population continue à être persuadée qu'il s'agit d'un cauchemar duquel elle va se réveiller. Dormez braves gens.

Il est vrai que l'union hétéro, + son bonus: le mariage, + son bêtisier: les enfants, a prouvé depuis belle lurette combien la famille était Ze success story du siècle. Le modèle indépassable. Le canon bourgeois version grosse Bertha. Au moins, dans la famille Hétéros, on ne trompe pas, on ne bat pas, on ne viole pas. Chez ces gens-la, monsieur, on — Arf. Mais à peine avait-on cru que, peut-être, les gens allaient se faire à l'idée que baiser n'était pas simplement procréer, et que l'amour, en plus d'être aveugle, le pauvre, tendait vers autre chose que le sacro-païen fantasme bipolaire de la complémentarité bite-chatte, voilà que le projet de mariage pédé-gouine (et d'adoption!) a électrisé tout ce petit monde. Genre: Quoi? Ils veulent nous piquer notre norme ! On leur a laissé la marge, la clandestinité, on leur a même offert le charme du tabou, les ors de l'interdit, mais non, rien à faire, ils veulent juste vivre leur vie, torcher des mômes, faire la vaisselle, et si ça se trouve prosélyter nos blonds bambins. La back-room ne leur suffit pas. Pfff.

Est-ce parce que certains hétéros sont incapables d'envisager l'homosexualité hors sa dimension sexuelle qu'ils réagissent ainsi? Parce que bon, le pédé ne fait pas qu'enculer, de même que l'hétéro ne fait pas que baiser, pour dire les choses crûment. (L'hétéro peut vivre quarante ans sans désirer sa moitié, mais ça c'est pas grave, n'esssse-pas?) Euh, comment dire? Nos identités ont quand même le droit à une certaine marge de manœuvre, non? Genre: je ne suis pas obligé de me comporter comme un pater familias quand je m'assois dans mon fauteuil de chef d'entreprise. Si? Ah bon.

En fait, c'est très simple. Quand je vois deux filles se rouler des pelles dans la rue, je suis choqué. Je suis choqué parce que: (1) je ne vois pas souvent deux filles se rouler des pelles dans la rue. Je suis choqué parce que: (2) je ne vois pas souvent de représentations dudit baiser. Je suis choqué parce que
(3) je suis choqué. Je suis choqué parce que (4) le fait que mon choc me choque me choque. Et enfin,  je suis choqué parce que (5) je me dis que je devrais réserver mon penchant au choc à de tout autres choses. Sinon, non: (6)je ne suis pas choqué.

Je suis comme la société, j'évolue sans évoluer. Mes conditionnements ont la vie dure. Mes préjugés persistent dans ma "pensée" alors que ma pensée ne comprend même pas pourquoi ces préjugés s'attardent ici-bas. Je vis le paradoxe de mon formatage tant bien que mal. Bref: j'ai compris que ma pensée, parfois, subissait des influences. Je suis naïf, certes, mais pas au point de croire que je pense (et réagis) en permanence par moi-même. (Et pourtant je ne regarde pas la télé, c'est pour dire.) Mais vous savez quoi? Je ne me dis jamais: Tiens, et si je leur pétais la gueule? je ne me dis jamais: Tiens, peut-être qu'en leur éclatant la tronche je vais rédimer la société. Bref, je n'éprouve aucune pulsion fasciste (tel est mon éducation). Je n'ai pas assez dégoût du corps pour en faire un champs de bataille, de baston. En gros, j'évite de traduire – reptilièrement – les effets de mon inévitable conditionnement hétéro-bourgeois en actes crypto-néanderthaliens. Vous m'avez compris: je ne suis pas tout à fait complètement émancipé, mais je sais, je devine une chose: Je est un nôtre.

(En revanche, il m'arrive d'être "choqué" par tous ces couples hétéros qui ne se roulent jamais de pelles et trouvent que c'est normal, qui m'imposent leur non-amour conjugal parce que, apparemment, être hétéro ne veut pas dire non plus se désirer tout le temps, faut pas déconner. Bon, à la fois, si des gens veulent former des couples pour le plaisir de former des couples, ça les regarde, l'ennui partagé n'a pas de sexe. On ne peut pas rendre le désir obligatoire. Surtout chez les hétéros, ces champions de la complémentarité triomphante (Chérie, c'est moi! j'espère que vous ne m'avez pas attendu!). Ils ont la normalité, c'est déjà beaucoup. Le désir, c'est du luxe, non? Tiens donc? Ah oui, c'est vrai, j'oubliais: le corollaire du désir, c'est qu'il s'émousse, se tasse, bah, c'est normal. Là, on a envie de dire: Youhou! Sur quelle table de la loi est-il écrit que le désir a pour vocation de laisser la place à sa mort? Le désir n'est pourtant pas réductible à la sexualité, que je sache. Le désir est l'ivresse de la curiosité. Non, on n'a pas épuisé les charmes de. Non, on n'a pas fait le tour de. Rembrandt vous émeut? X vous émeut? Ce paysage vous émeut? Votre émotion devant Rembrandt, X, ce paysage vous émeut? L'émotion vous émeut ? Eh bien, qu'en concluez-vous?) Fin de la parenthèse qui n'en est pas une. (

La violence homophobe qui prend de plus en plus ses aises nous envoie un message très clair: l'Autre est inadmissible – et il l'est d'autant plus qu'il ne veut plus jouer le rôle de l'Autre. Pour schématiser: si vous êtes pédés, ayez la bonté de vous conformer à la vision stéréotypée que nous avons du pédé. Si vous êtes gouines, sachez que nous avons les moyens de vous guérir. Ne nous faites pas croire que le désir est vraiment le désir, qu'il se moque de la norme au point de vouloir l'adopter. Nous autres les gens normaux avons réglé son compte au désir depuis longtemps. On peut vivre sans. La fougue, on s'en fout. Sauf bien sûr quand il s'agit de péter la gueule à l'Autre. Là, on veut bien retrouver un peu de notre antique pétulance… Qu'importe le cristal pourvu qu'on est la nuit…

Comme si, comme si, comme si derrière cette crispation qui n'en finit plus de faire couler sang et connerie, se cachait, sans trop se cacher d'ailleurs, cette épouvantable, cette crétinissime, cette faramineuse certitude: l'intolérance, cette dernière raison de vivre. La répulsion, cette dernière pulsion. Ils ne désirent tellement plus rien qu'ils sont prêts à cesser de penser pour empêcher les autres d'incarner cette chose aberrante : non pas (pas même!) l'altérité (ce serait trop leur demander) mais l'histoire, l'aventure qu'est l'autre. N'ayant plus, en guise de couilles, que ça: la phobie.

__________________________
On peut si on veut aller voir également ce que pense de tout ça l'ami Fabrice Colin ici.







9 commentaires:

  1. Ça fait du bien de vous lire.

    RépondreSupprimer
  2. "...Qu'importe le cristal pourvu qu'on est la nuit…"

    Froid dans le dos,
    Désir de fuir,
    Ils auraient gagnés ceux qui profitent de la peur ?
    Il faisait beau,
    J'entends rugir,
    Et s'approcher ceux que je croyais partis ailleurs.

    RépondreSupprimer
  3. Je partage. J'ai eu la chance, dans mon enfance, de n'être pas formatée en ces domaines (pas d'éducation religieuse, aucune orientation raciste ou homophobe, pas de télé...) ce qui m'a permis d'arriver à peu près libre sur ces sujets à l'âge adulte. Je le dis peut-être très mal mais je songe à ces malheureux gamins auxquels on tend un micro pendant les manifs....

    RépondreSupprimer
  4. "...Qu'importe le cristal pourvu qu'on soit la nuit..." ??
    ;)

    RépondreSupprimer
  5. Magnifique mise au point ! Deuxième billet sur lequel je tombe et à chaque fois, ça fait mouche.

    Je m'abonne :p

    RépondreSupprimer
  6. Vous avez une véhémence chamfortienne qui n'est pas déplaisante ! Votre billet inoxydable tranche la doxa avec la perfection d'une mandoline.

    RépondreSupprimer
  7. Qu'importe le cristal pourvu qu'on...hait la nuit?? :))

    RépondreSupprimer