mardi 16 avril 2013

Boston burning

Plusieurs bombes ont explosé à Boston près de la ligne d'arrivée du Marathon. Il y a quelque chose de fascinant à apprendre quasi en direct un drame, avant de savoir quoi que ce soit. La chose existe, soudain, en soi. Le feu, la douleur. Mais on ne sait rien. On ne sait pas qui ni pourquoi. Est-ce un événement, quel genre d'événement. On sait juste que la sécurité va être renforcée. Les images affluent déjà. Les témoignages. Personne ne sait rien. Un détraqué? Les Islamistes? (Réduire le possible à ces raides nuances?) On suppose que les esprits – et les enquêteurs fédéraux – vont bon train. Mais pour l'instant l'instant reste un instant. Un pur événement. La surprise est remplacée par la douleur. On assiste. Comme on n'aurait jamais pu assister autrefois à l'événement, qui n'existait que dans son analyse (jamais pu voir Franz-Ferdinand se faire occire, jamais pu voir Henri IV ou la saint Barthelemy, ou chaque jour de chaque année de chaque siècle passé et effacé).
Le drame est encore – pour combien de secondes, de minutes, en attendant quelle explication, quelle revendication – un mystère, mais un faux mystère bien sûr. Car quand le feu se produit en Amérique, il n'y a que deux explications: un fou ou un arabe. Mais pour l'instant, le drame est un drame, et en tant que tel il irrigue, il va, vient. On sait qu'on assiste, via l'internet, à quelque chose de réel. Dans un presque direct. Des gens courent, puis soudain de la fumée. Des victimes? Des morts? Combien? La presse, demain, va moudre. Ce sera son gagne-feuille. Cent experts y iront de leurs expertises. Pour l'instant, le drame n'appartient qu'aux témoins, direct ou lointains. A nous aussi, à notre ignorance et savoir global. Une info. Vide de sens, qui continue de courir, dans un marathon absurde contre l'information. Demain, je saurai (ou pas) qui a. Pourquoi. Comment. Ou quelles pistes. Quels suspects. Mais pour l'instant je n'ai, en lecture, en guise d'images et d'informations, que ça: un drame. Comme l'humanité en subit cent mille par secondes. Mais sur Internet, qui est notre plaie ouverte, cent blessés en pleine nuit occidentale sont un événement, nous qui savons pourtant combien de morts brutales combien de morts lentes combien de morts évitables surviennent à chaque seconde dans des contrées moins couvertes par l'information les satellites les médias l'intérêt. On ne devrait jamais commenter l'actualité à chaud. On y deviendrait obscène en une micro-seconde. Car elle produit trop de soupçons quant à notre capacité à compatir au réel. Si demain j'apprends qu'il y a eu 10 000 morts à Boston? Que ferais-je des cent mille cadavres éclos hors Marathon ailleurs dans le monde? La bombe a toujours eu une longueur d'avance sur la faim, la torture, le camp, l'exécution sommaire. Et avec Internet, elle a ce qu'elle voulait: elle expose plus qu'elle n'explose.


5 commentaires:

  1. merci pour cet article qui traduit exactement ma pensée (et que par conséquent je trouve excellent ;-))

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  2. Véritable obscénité, oui, que ces commentaires en direct de l'actualité quand les journalistes n'ont rien à dire et qu'il faut meubler, qu'il faut faire mousser, donner à voir, interroger des gens qui n'ont rien vu ou presque.
    Tenez, avril 94, juste 9 ans, qui se souvient de ce qui n'est toujours pas totalement éteint?

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  3. Je voulais dire 19 ans, naturellement, mille excuses.

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  4. No comment - [ Belle plume pour une faucheuse / Thank you ].

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  5. Merci. Excellente réflexion partagée au moment où je découvre Tweeter, son fonctionnement, ses intérêts, et sa folie aussi...

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