lundi 4 mai 2015

Anti-sexiste, des années de sévices


Plutôt que de mettre De Gaulle au programme du BAC, comme ce fut le cas il y a quelques années, je propose qu’on rende obligatoire, de la maternelle à la thèse d’Etat, la lecture du livre de Johanna Luyssen, Les 30 féministes que personne n’a vus venir. Car sous son aspect gadget – typo à géométrie variable, illustrations kaléidoscopiques d’Enora Denis… – voici un livre qui traite des marges du féminisme avec punch et finesse. Oui, plutôt que d’entreprendre une généalogie de l’émancipation des femmes pour les nuls, Luyssen a eu l’excellente idée d’aller fouiner dans des zones improbables, partant de l’idée, ô combien saine, que
« Etre féministe, ce n’est pas forcément le prôner à longueur de blog, chanson, livre ou éditorial : c’est tout simplement vivre de façon non-sexiste. »
Tous simplement ? La formule n’est bien sûr pas sans ironie, tant l’attitude anti-sexiste agace la population masculine dans sa grande majorité. D’où l’intérêt de présenter aux lecteurs et aux lectrices des figures qu’on pourrait croire mineures ou marginales, anecdotiques ou paradoxales, afin de montrer en quoi le MLF est soluble dans la résistance au quotidien. Qui dit anti-sexiste ne fit pas d’ailleurs forcément femme, comme le prouve l’exemple admirable de James Connoly, ce socialiste irlandais qui milita pour le droit de vote des femmes en 1916, secondé par une comtesse polonaise, Constance Markievicz. Connolly fut exécuté, mais pas Constance,
« pour une raison si ironique qu’elle nous fait verser des larmes de sang : [la peine capitale] ne s’appliquait pas aux femmes. »
Ce livre est aussi une occasion de remettre certaines pendules à l’heure et quelques légendes dans leur boîte. Un chapitre sur Yoko Ono s’efforce de balayer la fameuse ritournelle de la briseuse de groupe, et remet en lumière le schème de la sorcière, chère aux féministes des années 70. D’autres personnages, moins connus, n’en sont pas moins épatants, comme cette banquière des Années folles, « juive, lesbienne et autodidacte », qui dut se déguiser en homme pour pouvoir entrer au palais Brongniart – les femmes y furent interdites jusqu’en 1967… Luyssen trouve également, en des personnages de fictions, d’indispensables acteurs de la prise de conscience féministe, et nous permet de réviser notre jugement sur Josephine March, une des quatre filles du docteur éponyme ; ou de considérer à sa juste valeur l’attitude de Hester Prynne, l’héroïne de Hawthorne dont Luyssen nous rappelle qu’il fut « très influencé par les premiers mouvements féministes américains » ; idem pour Scarlett O’Hara, considérée comme une jouisseuse qui fait « valser les conventions ».

On ne va pas citer les trente champions de l’anti-sexisme figurant dans ce livre, mais bon, mention spéciale tout de même à Paul Milliez, ce médecin qui alla contre ses idées et seconda Gisèle Halimi dans la lutte pour la légalisation de l’avortement. On a aussi très envie de lire les livres de Ali al-Muqri, un écrivain yéménite par ailleurs menacé de mort (dont le dernier roman, La femme interdite, a été traduit récemment chez Liana Levi). L’anti-sexisme, Luyssen le cherche et le trouve dans des domaines où sa place n’est pas gagnée d’avance, comme le rap ou la pornographie. Et puis il y a ce formidable Poulain de la Barre qui au début du XVIIIème siècle prit la défense des femmes et se battit pour l’égalité des sexes. Bon, sur  Monroe, j’avoue que l’auteur me convainc moins, même s’il n'est pas inutile de rappeler que « le féminisme est l’expression assumée d’une sexualité ».

Le président Carter ? A 70 balais, il milite par ses écrits contre l’assujettissement des femmes. Kurt Cobain ? Réécoutez la chanson intitulée Polly, dans l’album Nevermind. La mère Denis ? Les nonnes de la LCWR ? Ce bouquin vous réserve pas mal de surprises, c’est le moins qu’on puisse dire, alors finissons par la joueuse de tennis Billie Jean King, qui ne fit qu’une bouchée de ce pataud macho de Bobby Riggs qui l’avait défiée pour un match mixte et désormais cultissime : 6-4, 6-3, 6-3. Et un homme battu, un ! Histoire de changer. De changer l’Histoire.

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Johanna Luyssen & Enora Denis, Les 30 féministes que personne n’a vus venir, coll. Parlmarès/société, éd. C•ntrep•int, 12,90 €

7 commentaires:

  1. ce n'est plus jour - qqqchose......

    un morceau de colonne vertimbale pour le chien ?? (que d'os que d'os, disait celui de Mac Mahon (le chien, pas l'ordinateur)
    le chat est il prêt à récupérer qq bas morceau ? (pauvre bète !!!)

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  2. Claro : l'écrivain qui donne envie d'être une femme... même quand on en est une !
    <3

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  3. Il y a Concepción Arenal (1820-1893), qui a dû se déguiser en homme pour étudier le Droit? Elle est l'auteur, entre beaucoup d'autres livres (de droit - elle a beaucoup écrit sur le thème des prisons - , sociologie et littérature), de "La mujer del porvenir" [la femme de l'avenir] (1861), le premier livre espagnol qui critique la situation des femmes et réfute les idées machistes de son époque.

    En plus d'être la première féministe espagnole elle a été la première femme haut fonctionnaire en Espagne.

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  4. Et si on parlait de l'assujettissement des êtres humains dans leur ensemble pour changer ? L'ouvrier qui a fabriqué votre voiture, l'indienne qui a confectionné votre t-shirt H&M à 2 euros ? L'anti-sexisme/féminisme (et sa foultitude de cousins communautaristes) sert de cache-sexe à la Machine Capitalisto-spéculatrice. Pendant qu'une poignée de privilégiées pleurniche sur France Inter ou dans des bouquins que personne ne lit, des millions d'âmes endurent les privations les plus extrêmes sans miauler afin que le confort de vie de la poignée susnommée soit maintenu.

    Et votre conclusion est tout à fait édifiante. Ce n'est pas l'égalité que veulent ces dames mais bien une revanche. Prendre la place de "dominante". Poney blanc et blanc poney. Et pas une revanche sur nos élites mondialistes, non -ça impliquerait pour le coup un véritable changement historique, civilisationnel, et non pas un malheureux bruit de fond sociétal- mais bien sur l'homme du quotidien, qui subit, comme tout le monde. L'expression d'idiot(e) utile est parfaitement trouvée.

    Et pour cette histoire de droit de vote, quand on constate l'abstention toujours plus massive à chaque scrutin, on ne peut que s'esclaffer. Toujours plus droits mais plus aucun devoir, malheureusement.

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    1. Et personnellement, vous roulez dans quelle voiture ? Vous vous habillez avec des vêtements de quelle provenance ? Où habitez-vous et qui a construit votre logement ? Quel ordinateur utilisez-vous pour lire ce blog et poster ce commentaire (et je ne parle pas des réseaux, de l'énergie utilisée, etc.) ? Quant à la conclusion, je ne vois pas en quoi la défaite d'un macho qui défie une femme au tennis et se fait battre à plate couture constituerait une apologie de la domination des femmes sur les hommes !

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  5. Pardon d'être un peu longue. Il y eut aussi des anonymes, dont personne ne parlera jamais. Je songe à ce patron du service d'obstétrique d'un CHU, décédé aujourd'hui. C'était il y a plus de cinquante ans. Un concierge lui amène un nouveau-né extirpé d'une poubelle. L'enfant est parfaitement viable, juste un peu écorché. On lui donne les premiers soins. Quelques heures plus tard, arrive en larmes, chez le concierge, une petite fille de quatorze ans. Le médecin s'arrangea pour obtenir le silence du concierge et de quelques soignants, on parvint à faire croire que la petite venait d'accoucher au CHU. À une époque où c'était puni de prison, ce médecin pratiqua des avortements pour des jeunes filles en état de détresse. Sans demander un centime. Des confrères le soupçonnèrent, on lui tendit des pièges. Il prévint sa femme : je risque de me retrouver radié. Tant pis, dit celle-ci, il restera toujours mon salaire de prof.
    Je lui rends hommage ici. Vous n'êtes pas obligé de publier ce commentaire qui n'est qu'anecdotique.

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