Il existe un moment, dans la traduction, où vous avez l'impression non plus de traduire, mais de "transcrire" - oh, ce n'est pas à proprement une épiphanie, juste un moment où le fameux effet de bilocation occasionnée par le spath mental s'estompe et où, tout simplement – sans que cela garantisse en rien le verso arraché au recto –, vous sentez que vous êtes dans un entre-deux: la langue source n'est plus un écran et votre langue mère n'est plus cette peau de vache qui vous fait trébucher aimablement (même si elle continue de le faire, mais loin, en sourdine…); bref, vous vous tenez sur la crête et sous vos pieds – vos doigts ! – se déplie sagement la houle, comme si elle savait quel rivage lécher. Le tempo s'accéléère, les touches crépitent d'elles-mêmes, c'est bon. Que s'est-il passé? C'est fort simple et tout à la fois extrêmement complexe. De même qu'une lecturee optique acquiert, à force de célérité, un souverain mérpris pour les frictions, de même l'acte traductantsurfe sur les aspérités pour se muer en lure de croisière, avec un en sus un étrange logiciel intégré dans votre chair, qui transforme toutes les impulsions en d'autres impulsions, ni codant ni décodant, mais transcodant avec ardeur comme s'il ne s'agissait que d'écoper au creux des mains une eau assez cohérente pour ne pas s'infiltrer entre vos doigts. Le temps, loin d'être suspendu, adhère infiniment à la surface de la langue. Un peu comme si vous ne saviez pas danser mais, soudain, l'aviez oublié, et que la piste vous semble avoir les dimensions exactes, et nouvelles, de votre corps. Existerait-il pour autant un fond commun, extra-linguistique, entre deux systèmes signifiants? Bof. Il s'ahit plutôt du corps qui reconnaît entre mille certaines palpitations, qui brutalement convient que la plus sotte animalité ressort d'une aisance cérébrale pour le moins ignorée. Vous traduisez en fait avec un agencement œil-doigt, un peu comme quand vous faites l'amour en plein jour. Vous touchez les bons endroits, et la réaction obtenue n'est ni la vôtre ni celle de l'autre, mais un monde entièrement nouveau qu'il fallait réveiller, secouer, inventer. C'est une expérience tellement troublante (en ce qu'elle ne vous trouble pas sur le moment) qu'on est comme en avance de quelques touches sur l'auteur. Un ou deux micro-octets d'avance, à peine, mais le temps que la lumière s'éteigne et l'aveuglement est déjà passé. Il est temps, alors, de s'arrêter. Pour mieux continuer. Ou, comme disait l'autre, "fail better"?
Cher Mr Claro,
RépondreSupprimerpuisque vous évoquez la transcription, je me permets de vous rappeler que je tiens à votre disposition une thèse comportant transcription, traduction et commentaire historique - trois volumes, trois fois rien, pour vous, en nombre de mots... Pardon : en signes. Et justement, à propos de signes, cette thèse attend toujours votre traduction...en braille.
Bien cordialement,
Mme g@rp
-Que dit Stevie Wonder à qui on tend une feuille de papier de verre?
RépondreSupprimer-Ah punaise, c'est écrit serré.