mardi 9 octobre 2007

Ecrire un livre


Ecrire un livre, c'est, dans l'ordre: avoir un peu mal au ventre, là où a posteriori va se loger la cervelle, puis les touches du clavier rissolent, il faut une cible, une flèche, une corde, et tendre la corde, mais avec quoi, tout est à recommencer, ce qui va se passer passe par d'étranges détours, c'est retors, la question est de doser le parcours, de doser l'overdose. Une lutte impitoyable entre le rétrécissement des choix et la tumescence des possibles; une valse avec des partenaires aveugles, sourds, muets. Une seule chose est certaine: il faut l'écrire. Une seule chose est sûre: ne pas l'achever est possible. Ce n'est pas un temple ni un seau. C'est, surtout, inévitable. Pédaler avant de mourir. Raser une peau glabre. Sucer une pierre. Puisqu'il n'est question ni d'avancer, ni d'être présentable ni de se rassasier. On avance, à coups de cruels reculons, dans l'évidence du détour et de l'improbable. On se vautre dans sa facilité, qu'on gomme avec ses dents. Ecrire c'est écrire contre soi, contre le soi, à contre-soi, pour faire exploser ce niais soi qui voudrait aller de A à Z sans passer par H. La mise est incertaine, le gain navrant, les parieurs de simples contempteurs. On avance en crabe, en cancer, ce qu'on sait faire il faut le taire, ce qu'on ne sait pas faire il faut l'inventer, ce qu'on ne doit pas faire il faut le tenter. Une fois l'os rongé et le livre fini, on cherchera le lecteur premier, celui qui vous sabrera, vous croquenjambra. L'impitoyable ami. J'ai la chance d'avoir Yves Pagès, qui lit mes livres comme si c'étaient les siens. Il m'arrange, me tance, m'explose, me bichonne. Il sait d'où ça vient. Ce que ça coûte. Il peut me remonter les bretelles syntaxiques, me charrier, me décorer de l'ordre du mérite-mieux-quand-même… Qui écrit un livre a besoin d'un lecteur, d'un autre qui le connaît assez pour l'étriller dans les règles de son art. Sans un Yves, vous n'irez pas très loin. Trouvez votre Yves. Je viens de de terminer de bosser sur mon Madman Bovary, et sans la lecture de l'ami Pagès, mon livre ne mériterit guère de polluer les librairies. Mais c'est là une évidence: écrire est pluriel. Ma solitude, donc, a plusieurs noms, qui ne l'annulent pas mais la peuplent d'autres solitudes. Je suis une foule. Nous sommes seul.

1 commentaire:

  1. après ce que je viens de lire, je ne peux dire qu'une chose : NOUS!

    Les petits démiurges que nous sommes, roitelets angoissés par leurs charges, sommes bien tous les mêmes et tu le décris avec beaucoup de talent.
    ça me donne envie d'en lire plus!

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