Qu'est-ce qu'un pynchonisme? Un angle d'attaque, souvent biaisé, pour insérer une notation, banale ou extraordinaire, dans un ensemble en expansion. Une façon non pas de dire mais d'interdire une autre façon de dire… Prenons un exemple, tiré de la page 559 - Umeki et Kit sont dans une chambre, il va se passer quelque chose d'éventuellement libidineux, peu importe, on nous campe le décor, entre autres par ces quelques mots : "with rain in autumnal descent at the window". Ça a l'air simple, mais de cette simplicité propre aux éléments simples, donc pas forcément décomposables. C'est un peu ce que Deleuze appellerait une eccéité. Un agencement de trais événementiels formant une figure unique, éphémère… On comprend qu'il pleut, qust l'automne et qu'on voit la pluie derrière la vitre. On n'a donc rien compris. Pynchon, d'un coup de brosse que n'aurait pas renié Cézanne, peint dans le cadre de la vitre non pas la pluie mais son mouvement verticalement descendant en une saison précise. Et il le fait l'air de rien, en compactant, inversant, décalant, rééquilibrant les données de base, afin d'annuler jusqu'à l'existence de cette base (cette réalité). On assiste donc à un événement, qui combine un espace (le cadre de la fenêtre), un temps (la saison qu'est l'automne) et un élément (liquide: ici la pluie); il faut que tout advienne en quelques mots, dans un plissé à la fois concret et abstrait. Une traduction littérale met en évidence la subtilité de la formule: "avec la pluie en descente automnale à la fenêtre" - trois termes pour une équation qu'on croyait résolue. Il faut dire que ce "descent" est fortement pynchonien, et ajoute une dimension à la fois technique et religieuse à ce qu'aurait pu faire un simple "fall". C'est, bien sûr, aussi, ironique, Pynchon passant son temps à alambiquer l'expression pour mieux la dynamiter, la faire dégorger, l'escroquer, etc. Evidemment, à traduire , c'est plus délicat. Huit mots, net d'impôts. Great. "la vitre battue par une pluie d'automne" ? On voit bien tout ce qu'on perd à tenter cette approche, même si bien sûr aucun lecteur français n'y trouverait à redire, sauf à compulser l'original. Rien de plus étranger au texte pynchonien que ce type de cliché.Car cette "autumnal descent" désigne à la fois en anglais la chute des feuilles, tout en étant connoté vaguement "descente aux enfers". Donc, prudence. Juste huit mots sur près de cinq cent mille. Un délice.
merci pour ce petit gateau sec littéraire, je reprendrais bien un peu de kousmikov merci, moi qui ne suis que musicien, j'ai l'impression de pouvoir savourer les subtilités que tu partages avec passion.
RépondreSupprimerSinon la trad littérale n'est pas "avec, dans le vent, la pluie en chute automnale " ?
Je demande?
Bougre d'aveugle que je suis, j'ai tapé "wind" au lieu de "window" - bien vu, merci. J'ai depuis corrigé. Je crois que c'est moi qui suis en chute automnale…
RépondreSupprimerVoyons déjà un "vers la grâce : le retour" dans quelques mois.
RépondreSupprimerIt's back, and It's angry...
RépondreSupprimerEt hop ! Encore un copy/paste...pour la grâce. ^_^
RépondreSupprimerClair que pour les néophytes légèrement anglophiles, ce genre de papiers est un régal... On touche du doigt la passion de la traduction.
RépondreSupprimerBien le bonjour, mr Claro
RépondreSupprimerJe voulais vous remercier, et vous féliciter pour votre traduction de Mason & Dixon.
Pendant la lecture j’ai fait un plan des personnages,
c’est un peu présomptueux de ma part Mais je souhaite vous le présenter .
http://eternaute.blogspot.com/
encore Merci.
Et j’attends avec impatience la sortie de Against the Day