mercredi 31 octobre 2007

Gustav Bertha


On tombe parfois sur des choses étranges, qui viennent se coucher entre vos pieds et de là laisse monter une drôle de fumée qui semble avoir toujours été là – ainsi il en va des chansons de Gustav Bertha, dont je ne connaissais rien il y a peu mais dont le doux bastringue, un peu freak fair un peu lamento, me va droit à la peau. Je le conseille donc. Le violon scie les nerfs tranquillement, et le piano drum just ce qu'il faut. La voix? Ma foi, vous savez ce que c'est qu'une voix: un visage qu'on ne voit pas, mais qui, à force de tirer sur ses cordes vocales parvient à agiter la marionnette invisible de l'âme. Un petit roulement de touches de piano, des albums aux titres aussi engageants que Café Crème, Small Adventures in the great domestic wilderness… du muffled et du distorded, juste ce qu'il faut, des bribes de ritournelles qui semblent aimer la chignolle, c'est que du rrien que parfait. A cinq heures moins le quart du matin, je vous dis pas comme ça dépulse le sonar embrumé. Je répète, Gustav comme Mahler (salut Babel!), Bertha comme la Grosse. Ce type est un compagnon, sa musique une possible option vers une chute plus douce. Et pour les initiés, y a même un morceau qui s'appelle The Restraint of Beasts. Comme dirait l'ami Burger: Ça ne vous rappelle rien? Happy juice-box!

Diversion


Les lectures s'entassent, les pages traduites se tassent, pas le moment de boire la tasse. Que faire pour varier la diversité et panacher l'arc en ciel des journées. Rien trouvé d'autre que d'écrire des livres pour enfants, et plus précisément pour petits enfants, tant qu'à faire ceux qui ne savent pas lire, comme ça le boulot c'est maman ou papa qui se le farcira. Et puis, s'agit de penser sérieusement à ma reconversion, parce qu'après Pynchon (et Vikram Seth, et Vollmann, et J. Eric Miller), à moins de trouver acquéreur pour Das Kapital ou Omega Minor, j'ai besoin de faire un break qui sera pas fast. Votre obédient serviteur sortira donc en septembre 08, chez Albin Michel Jeunesse (mais pourquoi monsieur et madame Jeunesse ont-ils donné ce prénom composite à leur fils?!!!), un livre illustré (pas par mes soins, je vous rassure tout de suite - on cherche encore un habile homme), intitulé (ou devrais-je dire: acidulé): Le Minotard. Ça fait dix ans que mes bambins me réclament d'écrire pour leurs pommes et maintenant qu'ils lisent Marx et grattent du Cobain, je me réveille. Secrètement, mon sournois dessein est le suivant: former de nouvelles générations aux arcanes subtils des viciosités de la langue afin de m'assurer un renouvellement (à long terme, certes, j'en conviens, et présume de mon espérance de vie) de mon lectorat qui par ailleurs frôle, quantitativement parlant, le rachitisme, voire le nanisme. A la source, donc!

vendredi 26 octobre 2007

Le Questionnaire de Colin


Oubliez le questionnaire gnan-gnan de Proust, bavouillé régulièrement par Pivot du temps de Messmer. Désormais, la science a fait des progrès et nous possédons le Questionnaire de Colin, ainsi baptisé car c'est Fabrice Colin qui a eu la gentillesse d'y répondre sur le choupinet site ricochet-jeunes.org. La tentation était trop tentante, je me suis donc livré à cet exercice et vous livre ma version customisée, sans grand intérêt j'en conviens, mais on ne lance pas une mode sans essuyer les plâtres:




- A quel "héros"/ personnage de fiction vous identifierez-vous volontiers ?
Bartleby, le héros de Melville.

- Quelle utopie seriez-vous prêt(e) à défendre ?
La gratuité du tabac et de l'alcool.

-A part être écrivain ou traducteur, que rêveriez-vous d'être ?
Gynécologue.

- Où écrivez-vous ? Quel est le lieu qui vous inspire le plus ?
La piscine.

- Quel est le sentiment qui vous habite le plus souvent ?
La soif.

- Quel (s) genre(s) de livre(s) vous tombe(nt) des mains ?
Les manuels d'équitation.

- Que redoutiez-vous enfant ?
Qu'un aviateur fou entre dans ma chambre et m'étrangle.

- Vous arrive-t-il de côtoyer des êtres imaginaires ?
Des lecteurs.

- Que feriez-vous ou diriez-vous à un ogre s'il vous arrivait d'en croiser un ?
Je poserai une main sur son épaule et lui demanderais: "Tu aimes les films de Gladiateur?"

- Qu'avez-vous conservé de l'enfance ?
Une sainte horreur de la couleur orange.

- Selon vous, qu'est-ce qui fait vendre un livre ?
Les articles dans La Vie du Rail.

- Quel qualificatif vous colle à la peau ?
Sinistre.

- Quelle est la meilleure phrase qu'un enfant vous ait dite ?
Papa, j'ai vu une mouche décoller à reculons!

- Quelle est votre définition du bonheur ?
Marion.

- Si vous aviez la possibilité de recommencer, que changeriez-vous ?
La moquette.

- Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?
Insomniaque.

- Vis-à-vis de quoi vous sentez-vous impuissant ?
Les grosses.

- Quel est l'animal auquel vous ressemblez le plus ? Pourquoi ?
La tique. Parce qu'elle est sympa.

- Quel est le mot que vous préférez dans la langue française ?
Fist-fucking.

- Que souhaiteriez-vous que l'on retienne de vous ?
Mon code de carte bleue.

Vos livres
- Quelle est votre dernière sortie pour la jeunesse ?
Le Minotard.

- Le(s) livre(s) dans votre production dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous laisse(nt) un souvenir particulier.
Madman Bovary.

- Quel est le thème que vous aimez davantage traiter ?
La pénétration des corps.

- D'où est né votre premier livre?
Du ras le bol de la prose.

- Quel livre en littérature de jeunesse auriez-vous voulu écrire ou réaliser à la place d'un autre ?
Fifi Brindacier.

- Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?
Cosmoz.

- Où et comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
Dans une urne.

Un livre pour la jeunesse qui vous a marqué petit ?
Les cent vingt journées de Sodome.

- Quels sont vos auteurs-illustrateurs de référence ou qui pour vous développent une approche intéressante ?
Picasso.

- Quels sont vos livres "coups de cœur", les "incontournables" en littérature de jeunesse ?
Le Jardin des Supplices, d'Octave Mirbeau.

Un film, une photo/illustration qui vous touche ?
Un cœur simple, le film de Marion Laine (en salle l'an prochain).

- Un musicien
Gogol Bordello.

- Un lieu où vous aimeriez vivre
Lamothe-en-Blaisy.

- Une phrase (une devise) qui vous guide
La nuit porte cochère.

Actualité
- Vos dernières (bonnes) lectures ?
Le soi-disant, d'Yves Pagès (à paraître en janvier 08 chez Verticales).

- Un site (sur les techniques graphiques, un auteur-illustrateur, une approche particulière du texte, de la littérature...) que vous souhaitez recommander ?
Le blog de Colin (http://blog.myspace.com/index.cfm?fuseaction=blog.ListAll&friendID=77034199), auteur et ami. Ce n’est pas de la tarte, mais tout le monde devrait le lire.

jeudi 25 octobre 2007

Prisons


N'ayant somme tout pas grand-chose à foutre de mes journées, comme tout besogneux nanti qui se respecte en terre sarkozyste, je propose la création des Prix Littéraires suivants:


• Prix du roman témoignant de la plus grande empathie pour ses personnages
• Prix du roman le mieux renseigné sur la manière de presser un citron
• Prix de la narration la plus linéaire qui soit
• Grand Prix du Ridicule Achevé en Matière Romanesque
• Prix attribué à l'auteur ayant le plus de fois figuré sur une liste de prix sans jamais avoir rien obtenu
• Prix attribué à l'auteur d'une œuvre mettant en scène essentiellement des dandys parisiens vaguement déchus et souvent perturbés
• Prix du Grand Livre du Moi
• Prix de la traduction la plus fidèle à elle-même
• Prix du meilleur roman traitant du fist-fucking
• Prix de la nouvelle la plus satisfaite de sa chute
• Prix du grand écrivain solitaire et hautain siégeant à un comité de lecture
• Prix de la meilleure biographie autorisée par les ayant-droits du défunt
• Prix du roman avant-gardiste le plus iconoclaste et le plus novateur dont risque de parler le Journal du Dimanche par qui vous savez
• Grand Prix de la Note de Blanchisserie à Titre défunt
• Prix honorifique de la ville de Chevilly-Larue (sur demande)
• Prix Airdain C. Ré
• Prix du roman sachant vraiment recourir à l'usage de l'italique
• Prix du roman de 120 pages refusant de casser 3 pattes à 1 canard
• Prix du Petit Bijou Ciselé Tout Empreint de Sobriété
• Prix du Constipé de l'Adverbe
• Prix de Il Faut bien l'Attribuer
• Prix des Trois mille euros T'aideront à Ecrire
• Prix du roman dont aucun des personnages n'est un artiste aigri retiré à la campagne et rencontrant au détour d'un chemin de campagne une jeune rousse en mini-jupe toute pétillante de vie et accessoirement violoncelliste
• Prix du roman le mieux écrit
• Prix du récit le plus captivant en TGV
• Prix du plus mauvais roman écrit par un de nos meilleurs écrivains
• Prix du Sexe Chaud Hot XXXX Salope Bitch Pénis Enlarger
• Prix de la description la plus passible de dictées
• Prix Dieu Mais Fort Parce Qu'Il Est Sourd
• Prix de la plus jeune romancière dont les parents lisent Elle
• Prix de la Racaille Gouailleuse
• Prix Zunic
• Prix Apique
• Prix du minimum de coquilles
• Prix du Quatrième de Couverture le Plus Affligeant
• Prix de Flore
• Prix Bernard-Pivot
• Prix Alé
• Prix Ta mère Que Ça Ne Se Reproduise Pas Tous les Jours
• Prix Remis Parce qu'Il Faut bien
• Grand Prix de l'Académie Française ADN–proof

A vos claviers, messieurs les bloggeurs… Les cinq meilleurs prix imaginés par vos soins auront droit à un post en bon uniforme…

Ce qui me pend au nez…

mercredi 24 octobre 2007

Pynchonisme


Qu'est-ce qu'un pynchonisme? Un angle d'attaque, souvent biaisé, pour insérer une notation, banale ou extraordinaire, dans un ensemble en expansion. Une façon non pas de dire mais d'interdire une autre façon de dire… Prenons un exemple, tiré de la page 559 - Umeki et Kit sont dans une chambre, il va se passer quelque chose d'éventuellement libidineux, peu importe, on nous campe le décor, entre autres par ces quelques mots : "with rain in autumnal descent at the window". Ça a l'air simple, mais de cette simplicité propre aux éléments simples, donc pas forcément décomposables. C'est un peu ce que Deleuze appellerait une eccéité. Un agencement de trais événementiels formant une figure unique, éphémère… On comprend qu'il pleut, qust l'automne et qu'on voit la pluie derrière la vitre. On n'a donc rien compris. Pynchon, d'un coup de brosse que n'aurait pas renié Cézanne, peint dans le cadre de la vitre non pas la pluie mais son mouvement verticalement descendant en une saison précise. Et il le fait l'air de rien, en compactant, inversant, décalant, rééquilibrant les données de base, afin d'annuler jusqu'à l'existence de cette base (cette réalité). On assiste donc à un événement, qui combine un espace (le cadre de la fenêtre), un temps (la saison qu'est l'automne) et un élément (liquide: ici la pluie); il faut que tout advienne en quelques mots, dans un plissé à la fois concret et abstrait. Une traduction littérale met en évidence la subtilité de la formule: "avec la pluie en descente automnale à la fenêtre" - trois termes pour une équation qu'on croyait résolue. Il faut dire que ce "descent" est fortement pynchonien, et ajoute une dimension à la fois technique et religieuse à ce qu'aurait pu faire un simple "fall". C'est, bien sûr, aussi, ironique, Pynchon passant son temps à alambiquer l'expression pour mieux la dynamiter, la faire dégorger, l'escroquer, etc. Evidemment, à traduire , c'est plus délicat. Huit mots, net d'impôts. Great. "la vitre battue par une pluie d'automne" ? On voit bien tout ce qu'on perd à tenter cette approche, même si bien sûr aucun lecteur français n'y trouverait à redire, sauf à compulser l'original. Rien de plus étranger au texte pynchonien que ce type de cliché.Car cette "autumnal descent" désigne à la fois en anglais la chute des feuilles, tout en étant connoté vaguement "descente aux enfers". Donc, prudence. Juste huit mots sur près de cinq cent mille. Un délice.

Madman Bovary (extrait 1)


Il s’agit, je le sais, ne le sais que trop, d’une de ces coiffures d’ordre composite, tout comme moi, qui suis, plus que jamais, super- extra- hyper-composite, fait d’un peu de papa d’un peu de chapska d’un peu de bonnet à poil d’un peu de maman aussi, les deux mêlés et enlacés pour mieux me chapeauter, et faire de moi un chapeau rond, un avorton, une casquette de loutre, un jean-foutre, un bonnet de coton, bref, rappelez-vous, une de ces pauvres choses dont la laideur muette dit assez l’imbécillité générationnelle qui en accoucha – et j’en veux soudain au nouveau de m’offrir, sous les espèces de son couvre-chef charbovarien, la recette à la fois chimique et psychique de mon être en sempiternelle décomposition, car je suis moi aussi ovoïde et renflé de baleines, molletonné de boudins circulaires, finissant en sac ou en polygone cartonné, je ne sais, ou plutôt si je sais, mais ce brevet d’arlequin définit assez bien la pathétique invention qu’est ma petite personne broyée et mitonné à la sauce Croisset.
La casquette de Charles B., que j’ai si souvent autopsiée en pensée sans jamais osé m’en coiffer, me sourit maintenant à même la surface du reflet où mon visage refuse de se noyer. Je pourrais, si je voulais – et le vouloir est facile… – en rester là, rester là, dans ces losanges de velours et de poil de lapin, mémoire de lapin écorché moi-même, géométrie soyeuse mais parfaitement crétine, avec pour seule âme ou ambition, au bout d’un long cordon trop mince qu’aucun courant électrique ne relie plus à la matrice honnie, un petit croisillon de fils d’or en manière de gland, bref, devenir cette effroyable matrice, cette évidence aussi vaine qu’utérine que vient couronner le pompon odieusement doré de moi.
Mais : Levez-vous dit le Professeur. Il se leva : sa casquette tomba.

mardi 23 octobre 2007

Transcription


Il existe un moment, dans la traduction, où vous avez l'impression non plus de traduire, mais de "transcrire" - oh, ce n'est pas à proprement une épiphanie, juste un moment où le fameux effet de bilocation occasionnée par le spath mental s'estompe et où, tout simplement – sans que cela garantisse en rien le verso arraché au recto –, vous sentez que vous êtes dans un entre-deux: la langue source n'est plus un écran et votre langue mère n'est plus cette peau de vache qui vous fait trébucher aimablement (même si elle continue de le faire, mais loin, en sourdine…); bref, vous vous tenez sur la crête et sous vos pieds – vos doigts ! – se déplie sagement la houle, comme si elle savait quel rivage lécher. Le tempo s'accéléère, les touches crépitent d'elles-mêmes, c'est bon. Que s'est-il passé? C'est fort simple et tout à la fois extrêmement complexe. De même qu'une lecturee optique acquiert, à force de célérité, un souverain mérpris pour les frictions, de même l'acte traductantsurfe sur les aspérités pour se muer en lure de croisière, avec un en sus un étrange logiciel intégré dans votre chair, qui transforme toutes les impulsions en d'autres impulsions, ni codant ni décodant, mais transcodant avec ardeur comme s'il ne s'agissait que d'écoper au creux des mains une eau assez cohérente pour ne pas s'infiltrer entre vos doigts. Le temps, loin d'être suspendu, adhère infiniment à la surface de la langue. Un peu comme si vous ne saviez pas danser mais, soudain, l'aviez oublié, et que la piste vous semble avoir les dimensions exactes, et nouvelles, de votre corps. Existerait-il pour autant un fond commun, extra-linguistique, entre deux systèmes signifiants? Bof. Il s'ahit plutôt du corps qui reconnaît entre mille certaines palpitations, qui brutalement convient que la plus sotte animalité ressort d'une aisance cérébrale pour le moins ignorée. Vous traduisez en fait avec un agencement œil-doigt, un peu comme quand vous faites l'amour en plein jour. Vous touchez les bons endroits, et la réaction obtenue n'est ni la vôtre ni celle de l'autre, mais un monde entièrement nouveau qu'il fallait réveiller, secouer, inventer. C'est une expérience tellement troublante (en ce qu'elle ne vous trouble pas sur le moment) qu'on est comme en avance de quelques touches sur l'auteur. Un ou deux micro-octets d'avance, à peine, mais le temps que la lumière s'éteigne et l'aveuglement est déjà passé. Il est temps, alors, de s'arrêter. Pour mieux continuer. Ou, comme disait l'autre, "fail better"?

lundi 22 octobre 2007

Poésie obligatoire?


Et si, au lieu d'imposer à nos bambins les poésies sénescentes de l'indécrottable Maurice Carême, on leur lisait une fois par an, le 1er avril par exemple, ce petit poème sympa de Guy Môquet? Soyons, cool, que diable…

« Parmi ceux qui sont en prison
Se trouvent nos 3 camarades
Berselli, Planquette et Simon
Qui vont passer des jours maussades

Vous êtes tous trois enfermés
Mais patience, prenez courage
Vous serez bientôt libérés
Par tous vos frères d’esclavage

Les traîtres de notre pays
Ces agents du capitalisme
Nous les chasserons hors d’ici
Pour instaurer le socialisme

Main dans la main Révolution
Pour que vainque le communisme
Pour vous sortir de la prison
Pour tuer le capitalisme

Ils se sont sacrifiés pour nous
Par leur action libératrice.»

jeudi 18 octobre 2007

Ruinez-Vous !



Les deux ouvrages sont en vente, alors ne vous gênez pas, l'intégralité des recettes est reversé à un fonds d'aide aux personnes atteintes de la maladie de l'écriture, comme il se doit. Blague à part, saluons le boulot du sieur Antonio Werli, auteur/éditeur/libraire et lecteur infatigable. A votre bon cœur, messieurs-dames… [Just click on the "Ruinez-Vous"- link]

Cling!


Qu’est-ce qui rend la phrase parfaite ?
Son aloi. L’aloi, chez les anciens, chez Villon par exemple, c’est le bruit que fait une pièce en tombant sur le comptoir. On entend de quel alliage elle est faite. On entend si c’est une bonne pièce ou une mauvaise. Il y a un aloi pour la littérature. Je l’entends. Tout de suite. Si la phrase est écrite, elle est versée à mon compte sur l’éternité. (Pierre Michon)

Rorschar: A Love Story

mercredi 17 octobre 2007

Arithmétrique


Mon collègue et néanmoins ami Nicolas en a plein les bamboulettes de voir s'afficher le nom de Villepin chaque fois qu'il consulte ce blog, on va donc passer à un nouveau chapitre, non sur les nouilles chinoises lyophilisées (sujet sur lequel je suis intarrissable à cinq heures du matin), mais sur le décompte textuel. Les anglo-saxons comptent en mots, nous autres gaulois en signes (espaces compris!). Par exemple, un texte de 400 000 mots ne m'évoque pas grand-chose de prime abord, alors qu'un texte de 2 000 0001 signes, là je vois très bien (un peu trop, même…). Difficile d'établir une formule de conversion, d'autant plus qu'à mon avis les américains vous casent plus de mots par ligne que nous, rapport à leur abondance de monosyllabes, mais bon à quoi bon croire à tout ce qui se dit ici et là…. Tout ça pour dire qu'Against the Day, le roman de Pynchon, que j'ai le bonheur de posséder en format Word & en pdf, semble, moyennant une marge d'erreur assez faible due au scannage, se composer de quelque chose comme: 444 400 mots. Partant du principe qu'une bonne traduction doit envoyer aux oubliettes le honteux facteur appelé coefficient de foisonnement (qui veut qu'un texte anglais enfle éhontément une fois traduit en français, genre de vingt pour cent, non mais on croit rêver, c'est plus de la trad c'est du gavage…), et persuadé que l'esprit de concision ne peut qu'épauler le travail traductant, je m'engage donc solennellement à ne pas dépasser ce chiffre magique (sans pour autant charcuter ce texte sublimissime). Si je dépasse les 450 000 mots, j'arrête la traduction. Et si je ne dépasse pas cette limite… eh bien j'arrête aussi. Je vous laisse, bien sûr, compter… Je vous communiquerai quand même le résultat de mon décompte, il faudra me faire confiance. C'est beau la confiance, non? Back to work. (Ce texte comporte 318 mots, parenthèse comprise.)

mercredi 10 octobre 2007

Mais qui mange de ce Villepin?


Notre grand écrivain national, DdV (Dominique de Villepin), vient une fois de plus de bouleverser la donne du langage et l'équilibre chimiquemnt instable de la narration en signant un opus majeur sur Napoléon. Le soleil noir de la puissance (non, ce n'est pas une contrepètrerie… genre : le soleil poisse de la nuisance…). D'une plume heureusement inimitable, le grand connu du Clear Stream Express brosse un portrait saisissant du MiniCorse, avec une telle clearvoyance que son livre figure sur la liste de sélection du Renaudot Essai (ça doit donner envie d'en faire partie, tiens, de cette liste…). Il y est question de l'ivresse du pouvoir. Ayant été contrôlé lui-même à 8,5 grammes pour ce qui de l'ivresse du pouvoir, DdV doit savoir de quoi qu'il cause. On attend toujours le grand livre de Pasqua sur Al Capone et la biographie de Sim par Christine Lagarde.

Vertigo


On ne dit peut-être pas assez la part de vertige qui entre en jeu dans l'acte de traduire. Car cet acte pour le moins étrange (Shiva serait sa vraie patronne…) ne fait pas tant appel à la raison, au savoir, qu'à un sens du court-circuit. C'est comme de plonger la main dans un miroir liquide. On ne procède pas par étapes (quoique…), on essaie de sauter d'une marelle l'autre, d'un code l'autre, de passer de points noirs sur fond blanc à la notion de visagéité, et, surtout, et c'est là je crois le sens profond de la traduction, de ressentir le corps-source. Traduire, c'est devenir de façon fulgurante et ectoplasmique l'Autre, découvrir en un éclair plus ou moins suspendu dans son propre orage, le coup opéré par la foudre-langage. D'où le vertige. La peau mue, tombe, vous la piétinez avant même d'en identifier la couleur passée. On ne transpose pas (quelle horreur!), on extorque la traduction au texte en mal de traduction. Car il est là, le texte traduit, enfoui dans l'original, comme une promesse nichée dans une menace. Pour ça bien sûr, il y a une condition: prendre son ego et le rouler entre les doigts comme une morve sèche , puis le coller discrètement sous le plateau de la table où l'on ne mangera plus. L'image, j'en conviens, n'est pas très chic. Mais la langue ne sert pas qu'à coller des timbres sur des cartes postales qu'on oublie d'envoyer. Un travail bien léché: à cela j'aspire de toutes mes muqueuses. Et si ça peut arracher un petit soupir de temps en temps, tant mieux. Pynchon, c'est la grande partouze cosmique. Et ce n'est pas Flaubert qui dira le contraire.

Une fable moderne


Il était une fois un tout petit exploitant de multiplex qui vivotait tant bien que mal. Mais voilà qu'un jour un méchant requin de salle de cinéma d'art et d'essai, sis à Montreuil dans un terrier, vint mettre en péril l'entreprise courageuse du gentil Ugécé. Ce dernier saisit la justice pour que cesse cette déloyale concurrence éhontée. Le loup Mélies va-t-il dévorer le vaillant agneau Karmitz? OUH! On tremble. (On redoutera, dans la même veine, que les libraires indépendants ne fassent qu'une bouchée de la FNAC.)

mardi 9 octobre 2007

Pierre Guyotat


Formation: tel est le titre du dernier livre paru aux éditions Galimard sous le nom: Guyotat. Il s'agit d'une traversée de l'enfance par un enfant affaibli venu aux mots de la bible et de l'impossible. C'est troublant, beau — et c'est aussi troublant que beau, puisqu'on se demande ce qu'un écri/vain comme Guyotat veut faire/défaire ici. En attendant Samora Machel…

Et vous trouvez ça drôle?

Il s'appelle Hugleikur Dagsson, il est islandais, drôle, comme seul l'acide qui coule sur la main du bébé humain manchot dont les parents se battent à coups de dictionnaire pour sourd-et-muet sont. On va tout faire pour le traduire dans notre pays qui a tellement le sens de l'humour puisqu'on a élu un président qui ressemble à Kennedy dessiné par Reiser.

Lettre à N.


Très cher Nicolas,
Je sora à kel point la cultür à toua importes et que tu ferions ce que tu pouvais pour l'apromeuvoir et c'est temps mieux. N'oublie pas les 10 cidents ni les aicrivin meunacés, pren souin de tout ce qui paine à parlé. Et 6 jamais tu viens soné à ma porte pourkeu jeu teu don' quel'k conseil de lektür, ésiteu pas, je sais ta souaf de livre. Ta vi est djà un sacré roman que même Réza l'a àpeine effleurrrré. Tu vas nous réduire les zèdes du CNL et du CNC, hystoir que ssa s'presse pas trop côté parisit. Braveau. On t'ème àfon. Juste une chose: oubli pa de koloré ton bultain de vaute. Si non, on trouv keu tu fè biain ton bouleau. Et rappelle-toi, il existe un code couleurs: brigade/rouge. Fais gaf, camp m'aime.

Ecrire un livre


Ecrire un livre, c'est, dans l'ordre: avoir un peu mal au ventre, là où a posteriori va se loger la cervelle, puis les touches du clavier rissolent, il faut une cible, une flèche, une corde, et tendre la corde, mais avec quoi, tout est à recommencer, ce qui va se passer passe par d'étranges détours, c'est retors, la question est de doser le parcours, de doser l'overdose. Une lutte impitoyable entre le rétrécissement des choix et la tumescence des possibles; une valse avec des partenaires aveugles, sourds, muets. Une seule chose est certaine: il faut l'écrire. Une seule chose est sûre: ne pas l'achever est possible. Ce n'est pas un temple ni un seau. C'est, surtout, inévitable. Pédaler avant de mourir. Raser une peau glabre. Sucer une pierre. Puisqu'il n'est question ni d'avancer, ni d'être présentable ni de se rassasier. On avance, à coups de cruels reculons, dans l'évidence du détour et de l'improbable. On se vautre dans sa facilité, qu'on gomme avec ses dents. Ecrire c'est écrire contre soi, contre le soi, à contre-soi, pour faire exploser ce niais soi qui voudrait aller de A à Z sans passer par H. La mise est incertaine, le gain navrant, les parieurs de simples contempteurs. On avance en crabe, en cancer, ce qu'on sait faire il faut le taire, ce qu'on ne sait pas faire il faut l'inventer, ce qu'on ne doit pas faire il faut le tenter. Une fois l'os rongé et le livre fini, on cherchera le lecteur premier, celui qui vous sabrera, vous croquenjambra. L'impitoyable ami. J'ai la chance d'avoir Yves Pagès, qui lit mes livres comme si c'étaient les siens. Il m'arrange, me tance, m'explose, me bichonne. Il sait d'où ça vient. Ce que ça coûte. Il peut me remonter les bretelles syntaxiques, me charrier, me décorer de l'ordre du mérite-mieux-quand-même… Qui écrit un livre a besoin d'un lecteur, d'un autre qui le connaît assez pour l'étriller dans les règles de son art. Sans un Yves, vous n'irez pas très loin. Trouvez votre Yves. Je viens de de terminer de bosser sur mon Madman Bovary, et sans la lecture de l'ami Pagès, mon livre ne mériterit guère de polluer les librairies. Mais c'est là une évidence: écrire est pluriel. Ma solitude, donc, a plusieurs noms, qui ne l'annulent pas mais la peuplent d'autres solitudes. Je suis une foule. Nous sommes seul.

Soirée Drôles de Traducteurs


Vendredi 19 octobre à 20h et jusqu’au bout de la nuit…

Drôles de traducteurs
ou la nuit américaine du comptoir des mots


à la librairie
"le comptoir des mots"
239, rue des Pyrénées - 75020


Lecture d’extraits d’auteurs américains et rencontre avec les traducteurs
Claro et Bernard Hoepffner

Bernard Hoepffner tentera de répondre à la question « comment lire les livres illisibles ?»

Causeries, dialogues, lectures en français et en anglais…

Une invitation à la découverte des œuvres de très grands auteurs américains, en particulier : Gilbert Sorrentino, William T. Vollmann, Mark Z. Danielewski… et bien d’autres…pour vos oreilles et cervelles, jusqu’au bout de la nuit.
      
Et bien sûr, pour tenir le coup, des aliments solides et liquides propres à réjouir vos gosiers et estomacs !

à la librairie le comptoir des mots
239, rue des Pyrénées - 75020 Paris - M°Gambetta
01 47 97 65 40 - librairie@lecomptoirdesmots.fr

Un dernier pour la route


Je vois que l'exercice littéraro-journalistique en amuse certains… Donc, en voici un autre, véridique malheureusement, lu dans Le Monde. Par commisération, j'ai remplacé le nom de l'auteur par la lettre X. Vous allez voir, c'est du solide… (si ça se trouve le livre est excellent, mais là n'est pas le propos…)



"Ce premier roman de X recèle, sourdement, une rare violence, celle d'une passion unilatérale. En effet, une infirmière lilloise s'éprend d'un photographe parisien. Tout, a priori, sépare cette fille de mineur et ce bel aventurier. Il l'ensorcelle, la rudoie, mais, pour la première fois, elle découvre le plaisir dans ses bras. Leurs affrontements sexuels exaltent cette femme secrète dont on découvre, peu à peu, le douloureux passé. Désir, pulsion de mort… X traque le vertige de son héroïne jusqu'au moment de la chute… défintive."


On remarquera au passage qu'il suffit de remplacer "infirmière lilloise" par une autre profession et un autre gentilé (perso, j'aime bien: "masseuse dieppoise") ; idem pour "photographe parisien" ('sculpteur new-yorkais" ferait l'affaire mais j'ai une prédilection pour "véliplanchiste bulgare ").

jeudi 4 octobre 2007

Pynchon Par la Presse


Afin qu'on gagne du temps, je propose de rédiger d'ores et déjà dorénavant un modèle d'article sur Against the Day, qui pourra servir aux journalistes. Gain de temps. Comme ça, on évitera surprise et déception. Donc, voici un gabarit pour les fins critiques, avec possibilités de variantes en fonction du degré d'ignorance et d'incompétence.


"L'homme invisible/énigmatique/l'auteur le plus discret au monde nous revient, neuf ans/dix ans/près d'une décennie après l'hénaurme/le complexe Mason & Dixon, avec un non moins gigantesque/monstrueux opus intitulé Jusqu'au jour/Contre le Jour, dans une traduction de l'indécrottable/l'inévitable Claro. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce monstre/ce livre ne se laisse pas facilement résumer/raconter. Pléthore de personnages hauts en couleurs/exotiques/étonnants, autant de lieux qu'en peut recéler la planète, plusieurs époques, différents genres littéraires qui se poussent du coude… On reste désarmé/pantois/fébrile devant tant de richesses, certes un peu trop fortes en calories, mais non dénuées de naïvetés touchantes/de fulgurances. On ne tentera donc pas ici de raconter ce qui se passe dans JJ, et l'on préférera dégager/souligner/révéler les grandes lignes de la narration/du récit. Il est beaucoup questions d'anarchistes, de hors la loi, de cow-boy au grand cœur, de savants fous et de mathématiciens. Une fille épouse l'assassin de son père, des adolescents voyagent dans l'espace et dans le temps comme des personnages tout droit sortis de Jules Verne, il y a un chien qui parle… bref, l'auteur une fois de plus a lâché la bride d'une imagination que rien ne borne, et l'on peut regretter qu'il ait fait si long. On se perd rapidement dans ce dédale, l'émotionn n'est pas toujours au rendez-vous, cela sent un peu trop la pyrotechnie. Les phrases – mais c'est peut-être dû à la traduction… – sont souvent si alambiquées que le lecteur renonce à en défiler l'écheveau retors. L'exercice est impressionnant, certes, mais peut-être vain. Baroud d'honneur d'un vieux maître gaspillant ses dernières cartouches? Feu d'artifice faisant plus de bruit que d'effet? Bien courageux celui qui ira au bout de ce fastidieux voyage, bourré d'incohérences, de longueurs et de digressions. On lui préférera le nouveau Franzen qui sort en même temps, intitulé Pourquoi j'ai écrivé ce livre, sobre méditation sur les pastèques du Missouri qui déclenchèrent sa passion pour l'écriture."

Hum, j'ai peur hélas que la réalité dépasse cette fiction…

On peut aussi enfiler les perles


Grâce à Babel XXV, nous disposons aujourd'hui d'une sacrée perle, enfilée par Angelo Rinaldi lors d'une vomission littérante dans la shitbox - je cite:
"Le rôle du romancier est décrire un roman crédible avec des personnages si possible attachants".
Je propose donc un jeu: dépasser en asinerie ce propos. Je me lance, et je compte sur vous pour défoncer en fanfare ce nouveau wall of sound. (Exercice peut-être périlleux car il réveille en nous le Bouvard doublé d'un Pécuchet.)

"La ponctuation, c'est la respiration de l'âme."
"Peu à peu, mes personnages prennent vie et je m'y attache."
"Au départ, il y avait cette idée toute simple."
"J'écris d'un jet, et il faut que ça tienne."
"J'essaie de relancer la donne du langage et de bouleverser l'équilibre chimiquement instable de la narration."
"Réussir. Réussir mieux. Réussir encore."
"Mon propos était de distraire le lecteur."
"Joyce a fait beaucoup de tort à la littérature."
"Un incipit est comme une main tendue vers le lecteur."
"L'intrigue est servie ici par le style."
"Je pense avoir tout dit dans ce livre."
"On n'est jamais assez réaliste."
"Je me méfie des phrases compliquées."
"Mon éditeur n'a pas touché à une ligne de mon texte."
"Je pense que les critiques vont aimer."
"Si on veut résumer ce livre, on peut dire que."
"Une description ne doit jamais être ennuyeuse."
"C'est un ouvrage qui ne m'a pas donné beaucoup de difficulté à l'écrire pendant le processus de rédaction de ces pages."
"J'ai vachement bossé le style, les effets. La langue, quoi."
"J'ai tout mis dedans."

mercredi 3 octobre 2007

Contrôlé à 0,60 € /minute !!!!


La nouvelle vient de tomber: un radar, judicieusement placé au plafond du siège du FMI, a flashé DSK. Il était en effet en train de gagner 60 centimes d'euros par minute! Certes, c'est à peine pour acheter une baguette, mais qui irait manger 3600 baguettes pas jour? Hein, qui? (Précisons tout de même que quand nous disons 60 centimes par minute, ça veut dire round the clock, même pendant qu'il fait un sudoku dans sa limousine avec chauffeur.) S'il continue ainsi, DSK va donc faire du 350 000 euros par an. On sera rassuré: tout ça est net d'impôts. FMI: Flambée Momentanée des Intérêts? (On l'imagine petit, à huit ans, en culotte courte… un personnage habillé en redingote noire [la Destinée] s'approche de lui dans le Jardin du Luxembourg et lui murmure à l'oreille: "Psst, petit… un jour, tu pourras t'acheter treize millions cent quarante mille baguettes par an… mais gaffe… faudra que la baguette soit à soixantimes… le mieux c'est que tu te fasses nommé au FMI, comme ça tu pourras peut-être contrôler le prix de la farine… adieu petit…"). J'exagère, bien sûr, parce qu'en fait il va être payé en dollars, pas en euros. Faudrait refaire le compte en doughnuts, on devrait même pouvoir calculer la surperficie en néant, rapport au trou du doughtnut. Mais là ça devient trop compliqué, même si l'image du beignet troué semble plus approprié dans le cas qui nous intéresse…

mardi 2 octobre 2007

TrevorTex


Sur la platine, l'album de TrevorTex. Vous avez dit EnvironneMental?






"Oui, ce son est inquiétant : voilà ce qui arrive lorsqu'il n'y a plus que des résidus de musique dans nos esprits; vers la fin du disque, une sorte de palpitation sourde renaît, timide, bancale, mais l'expérience est limite." (Nicolas Richard)

Martine (la fête à)




L'ami Rémi Pépin est un facétieux. En plus de taquiner le rebelle, il relooke la collec des Martine. Impayable, of course.

Pépin Rock


Dans les bacs, par l'ami Rémi Pépin.

Les disparues


Hasard des lectures. D'un côté, Lettre à D., d'André Gorz, de l'autre (merci à Le Théope pour le tuyau…), Le Ton Beau de Marot, de Douglas Hofstadter. Gorz, en très peu de pages, au seuil de la disparition, tente de dire à celle qu'il aime combien elle l'a sauvé, porté, donné au monde. Les premières lignes ont la beauté du vrai. La suite est plus complexe, car Gorz s'aperçit à quel point il est difficile, voire impossible, de rendre compte d'un amour immense et fondateur. Un suicide commun a soudé ces deux amants il y a peu, dans l'évitement in extremis de ce naufrage qu'est la vieillesse. Dans le livre de Hostadter, tentative d'épuisement d'un poème de Clément Marot et réflexion polymorphe sur l'acte pluriel de traduire, l'auteur œuvre aussi à l'ombre d'une femme, sa femme, Carol, décédée en cours d'écriture, de vie, d'élan. Gorz, comme Hofstadter, tentent de dire, dans des registres peu comparables, certes, et au sein de projet n'ayant guère à voir, ce qu'est l'Autre. Etrangement, on a le sentiment que ce dire-là touche à l'indicible, soit que l'écueil du sentimentalisme empêche d'aller au-delà des mots, soit, tout simplement, que l'Autre tire sa force d'une vérité qui leur reste inaccessible. L'un glisse un mot sous la porte, l'autre construit un labyrinthe. Et la petite malade de Marot emporte son secret dans sa fièvre passagère.