De tous les genres littéraires
imaginables, la "très longue dictée" me sidère – je ne suis même pas sûr qu’il s’agisse
d’un genre littéraire. Difficile d’en définir la forme, d’en fixer les canons.
La TLD remonte à une époque révolue mais séduit encore quelques assis éclairés à la
bougie. Peu d’écrivains l’osent, tant elle est risquée. Située à égale distance du
suranné et du ridicule, elle récompense ceux qui s’y collent par une ankylose
stylistique sans doute incurable. Il sait pourtant se dilater telle une vessie dès
qu’on l’agite devant un auditoire égrotant, seul capable de discerner, sous
l’enduit de l’ennui, le papier peint de la sincérité (pardon).
Contrairement à la DO – la Dictée
ordinaire –, qui s’épanche laborieusement en salle de classe tel un ru de mots
croisés mais ne dure jamais plus d’une vingtaine de lignes, la Très Longue
Dictée, elle, n’hésite pas à occuper l’espace entier d’un livre. Hypnotique au
point de courir le risque du soporifique, elle sidère par sa foi dans un récit entièrement
constitué de carton-pâte, dans le choix de mots bibelots nimbés de poussière,
extraits d’un lexique qui a tout d’une vitrine, et comme elle ne réfléchit que la
bouche qui l’embue.
Oyez. Denis
Tillinac vient de porter la TLD à son paroxysme. Après lui, gageons-le, plus
personne n’osera relever le gant. A peine a-t-on entrouvert Caractériel qu’on entend déjà crisser la
plume sur le papier réglé. Il faut dire que Tillinac a l’ouïe fine et la
sergent-major affûtée. Bien, prenez une feuille, notez votre nom et votre
prénom en haut à gauche, inscrivez le titre au milieu puis écrivez, gaffe aux liaisons,
c’est parti : « Le silence
grésillait [virgule], modulé plutôt
que rompu par les chants des grillons [virgule], le hululement d’une chouette [virgule], l’aboiement d’un chien [virgule] le tintement des clochettes [z’] accrochées [z’] au cou des
vaches [point] ». L’élève-lecteur, en plus d’être bercé par cette
curieuse cacophonie, aura ainsi appris quelques caractéristiques phoniques de
la gente animale. Il n’oubliera jamais, après ça, que le grillon chante, que la
chouette hulule, que le chien aboie, et que la vache tinte. Mais montons d’un
cran. Levons les yeux. Ecoutons le clocher, qui lui aussi a quelque chose à
dire, le clocher « où s’égrenaient
les heures en sonorités cristallines », le clocher qui « énonçait son heure [virgule] sur un ton de résignation éplorée »,
et confiait à l’enfant « son humble
prière ». Ce clocher tout résigné et éploré ne vous suffit pas ? Soit.
Prenons le chien, un animal aux « yeux
doux » dans lesquels on peut lire une « tendresse désemparée ». Bon, je vous accorde que cette « tendresse désemparée » fait
pâle figure à côté de l’«affabilité
taciturne » de… de quoi ? De la bâtisse, bien sûr ! Que
serait une dictée, surtout très longue, sans une « bâtisse » ?
Chaque page de cette interminable
pensum qu’est Caractériel possède son
bibelot attendu d’inutilité sonore. La photo de l’ancêtre ? Elle « trônait dans un cadre doré sur le
buffet [deux f]. » Il faut
dire que la mémoire est comme un grenier « où
s’empoussiérait la bimbeloterie de ma brocante intime ». Vous remarquerez
au passage l’assonance – bimbeloterie,
brocante – capable à elle seule de
donner un double orgasme à Lagarde et Michard (tout comme, d’ailleurs : « les odeurs de la fauverie m’enfiévraient », c’est
fou, non ?). L’enfance, on le sait, est une épicerie, un marchand de
couleurs, comme on disait du temps du Général ! Vous trouverez donc toute
la quincaillerie nostalgique : Ivanhoé, Tarzan, Kopa, avions en papier,
pick-up, Tintin, etc. Pourquoi se gêner. Tout est possible ici : le
remords « tarabuste », les
résolutions ont « le souffle
court », les sourires « sont
empreints de résignation ». Ici, les choses sont à leur place : « Il y avait des enfants dans chaque
maison [virgule] des poules et leur
coq devant chaque seuil [virgule], des
vaches dans chaque étable [virgule] des
cochons dans les porcheries [virgule] des
lapins dans les clapiers [un seul p, point]. » Le temps de l’imparfait
règne en maître, comme si l’imperfection était le temps même de la langue, sa
raison d’être. Sa naphtaline.
Veaux, vaches, cochons… que de
crimes on comment en votre nom ! La nature inspire l’auteur au point parfois
qu’il sombre dans des visions hallucinatoires : « Les restes d’un chêne foudroyé m’inspiraient la même compassion
que les vaches [sic]. Il était penché
[é] comme un vieillard [pas de virgule] et ses branches sans feuille aucune semblaient implorer un pardon. »
On se demande bien d’ailleurs pourquoi ce pauvre arbre demande pardon. (Il
semble plutôt crier : Pitié ! Sortez-moi de cette dictée
débile !) Tillinac a-t-il conscience de porter la niaiserie à un degré
d’ébullition jusqu’ici inégalé ? On peut hélas en douter quand on lit, à
l’avant-dernière page : « Pour
l’heure mes nostalgies sont les seules [seu-leu] oasis dans ce désert de l’amour où mon cœur d’artichaut traîne sa
croix. » Allons bon. Après la dictée : la récitation ! Un
artichaut traînait une croix dans le désert, quand soudain, au détour d’une
oasis…
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Denis Tillinac, Caractériel, Albin Michel
(coeur)
RépondreSupprimerMERCI de m'avoir fait rire. Cette critique m'a rappelé un prof qui commentait nos rédactions adolescentes à haute voix devant une classe hilare.
RépondreSupprimerExcellent ! Et bien envoyé.
RépondreSupprimerTrès drôle. Claro ou l'art de se faire des ennemis pour le plaisir de se faire des amis amusés. Tillinac et vous ne jouez pas dans la même cour, est-ce que ça mérite autant de verve ?
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