Dans la vidéo de Thierry Richardson, la chanteuse Miley Cyrus, califourchée nue sur une boule de démolition, embrasse à un moment un marteau, et il n'est pas besoin d'avoir suçoté les cigares du docteur Freud pour s'imaginer que, peut-être, dans notre inconscient formaté, ce marteau a un je ne sais quoi de phallique. Car ce qui saute aux yeux ne les crève pas toujours, n'est-il pas? On est donc en droit de se demander s'il n'existerait pas une autre façon d'embrasser le marteau. La réponse est oui et s'appelle Serge Bozon.
Dans Tip Top, le nouveau film du réalisateur de La France, on voit à un moment Isabelle Huppert embrasser furtivement un marteau de charpentier qu'elle a glissé sous son oreiller. Bien sûr, ledit marteau a été précédé d'indices permettant de le relier à un rapport sado-maso entre la super flic (Huppert au visage tabassé, lippe songeuse) et son imposant époux (Samy Naceri, improbable de non-jeu, en colosse fissuré). Mais l'on voit bien à quoi sert, dans le film de Bozon, le marteau: à casser la narration. Sous prétexte d'une enquête de la police des polices – la mort d'un indic, a priori, à moins qu'il s'agisse de la mort des indices, des signes standards du récit –, Bozon, en fin héritier de Godard et Mocky, tord tous les fils, non sans avoir prévenu le spectateur: filmer c'est "mater + frapper". Le regard, ici, est donc inéluctablement assorti de coups. Façon de rappeler qu'on raconte avant tout des formes, et que les formes ont une fâcheuse tendance à fuir de partout.
Proche par sa "méthode" des romans de Robert Coover (on songe entre autres à Gerald's Party), le film Tip Top mate et frappe tout ce qui dans l'image pourrait être réifié : le langage (l'arabe décalé de François Damiens), les heurts entre corps (la baise pugiliste entre Huppert et Naceri, Damiens couché sur son supérieur, Karole Rocher se battant avec Saïda Bekkouche: ni plus ni moins du Bacon), l'enquête policière (les corps arrêtés, sur une pelouse, sur un banc), la pensée (Huppert récupérant du bout de la langue la goutte de sang qui coule sur l'arête de son nez, un peu comme on choppe une idée de passage), le principe du tandem (Kiberlain perdue dans l'inachèvement des gestes et des regards), l'arabe-indic (Aymen Saïdi se livrant à une étonnante chorégraphie), etc. Le tout dans une lumière raclée à la Kaurismaki.
Résumons. Miley Cyrus aime les marteaux. Serge Bozon joue du marteau. L'une nous casse les pieds (pour ne pas dire plus), l'autre nous ouvre les yeux.
"l'arrête de son nom"? C'est joli mais... Un truc que j'ai pas compris?
RépondreSupprimerMerci pour ce billet, comme les autres, percutant.
Emmanuelle Tricoire.
Je voulais écrire "son nez", – j'ai corrigé. Merci pour votre vigilance (et honte à moi qui me relis si souvent mal). C
SupprimerCalifourchée... <3
RépondreSupprimerC'est la première fois que je lis, à propos d'un film, "on songe entre autres à Gerald's Party". Moi, la plupart des films hollywoodiens me font penser à "John's Wife".
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