vendredi 4 octobre 2013

Entre les mains d'Orlac gît un volcan

Mains d'Orlac, mains dont les doigts retiennent le sang sur l'affiche à jamais placardée entre les pages d'Au-dessous du Volcan, entre rêve de strangulation et vaine étreinte, le visage arrêté de Peter Lorre comme suspendu au-dessus des protagonistes – La Manos de Orlac ! – titre qui revient au moins six fois dans le roman, revient identique et différent, les doigts d'Orlac de plus en plus crispés, tremblants, comme les doigts du Consul hésitant à se refermer sur le verre de mezcal comme le mezcal se referme sur l'effrayante larve qui s'y noie interminablement, ou étreignant désespérément le verre de tequila – "But after much tequila the eclectic systemë is perhaps un poco descompuesto, comprenez, as sometimes in the cine: claro?" – claro? orlac! et Lowry de nous dire des mains et d'Orlac, des mains d'Orlac, que c'est dans les mains que vibre, aussi, l'oracle, et que tout homme a les mains d'un autre à l'instar d'un Rimbaud déplorant de n'avoir pas la sienne, ni avant ni après le déluge, cette éruption finale, et nous voilà contraints de nous rappeler certaines choses oubliées, à commencer par le titre anglais du film, le film de Karl Freund, qui est Mad Love, l'amour fou, cet amour arraché à Breton et diffracté dans le hasard objectif des déambulations consulaires au sein du livre-labyrinthe qu'est Quauhnahuac où l'œil s'épuise à retrouver Nadja, mais ce n'est pas tout, ce n'est jamais tout, et avec Lowry le tout ne finit pas, car le nom de la femme d'Orlac, l'épouse du pianiste, cette épouse qui aimerait sauver son mari, n'est autre que Yvonne, et le film évoque en outre un trio, et Laruelle bien sûr est cinéaste, il a réalisé un film intitulé Le destin d'Yvonne Griffaton, oui, les films vont et viennent sous le volcan, comme autant d'avatars du mythe d'Orphée – Las Manos de Orlac! – en un carrousel nervalien, aussi, et Lowry a-t-il sur que l'acteur qui jouait Orlac, Colin Clive, qui par deux fois interpréta le docteur Frankenstein – encore un docteur ! – a-t-il su que Colin Clive mourut en 1937, détruit par l'alcoolisme, et Lowry avait-il lu la traduction du roman de Maurice Renard, traduction faite en 1928 par Florence Crewe-Jones, c'est possible, le fait est que les scènes de grand-guignol au début du film intitulé en anglais Mad Love ont dû le marquer, et pas seulement parce qu'y tournait une roue, une "wheel", celle du supplice, et c'est sans doute à ce même Orlac qu'il songea quand il fit de Bill Plantagenet, héros de Lunar Caustic, un pianiste, non, décidément le film de Freund est une roue dans la vie des films, les mêmes mains reviennent étrangler d'autres cous coupés, le film lui-même un remake d'un film allemand de 1924 avec Conrad Veidt, film du retour, donc, retour du film, l'Allemagne offrant ses mains sanglantes tel un éternel vautour, l'amour toujours plus fou tendant sans détour son cou de statue, afin d'expirer encore dans un conte dont Lowry nous dit que c'est un "tale of tyranny and sanctuary", tyrannie et sanctuaire, bruit et fureur, la roue tourne et le roman de Lowry avec, telle la bobine d'un film, les images succédant aux images, puis se superposant, se dévorant, le Temps se repaissant de ses enfants tandis qu'on jette un chien dans un fossé, sur un corps consulaire, une dépouille infra-solaire dont les mains, enfin, enfin, enfin, ne tremblent plus – no se puede vivir sin amor.

2 commentaires:

  1. Quelle phrase ! Et je découvre que l'anagramme d'Orlac est... Claro ! Presque un palindrome...

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  2. Cher Claro: votre lecture Lowry, maginifique. Hors de la plomberie philosophique qui souvent s' empare de Lowry.
    Hugo Savino

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