Suite à la parution de l'ouvrage de Charles Dantzig sur ce qui constitue ou non un chef d'œuvre (recette détaillée, liste des ingrédients et temps de cuisson compris), Bibliobs a cru bon de demander à une quinzaine d'écrivains quel était leur livre fétiche et quel livre leur tombait des mains. C'est cette dernière catégorie qui a bien entendu retenu toute notre attention, et force est de constater que Belle du Seigneur en prend pour son grade, suivi de près par Julien Gracq (avec en sus un tackle redoutable d'Enard sur Robbe-Grillet et ses Gommes…). Mais c'est une fois de plus Aurélien Bellanger qui décroche le pompon avec ce beau jugement perspicace sur Nabokov:
"L’œuvre de Nabokov est problématique: si Lolita est un chef-d'œuvre incontestable, les autres romans sont des exercices de style presque toujours ratés. Nabokov s'y 'empoissonne' dans sa propre ironie."
On en déduit donc que Nabokov était photogénique (cf. notre post du 24 novembre), puisque malgré leur ratage, ses œuvres – autres que Lolita – semblent avoir perduré et même trouvé quelques lecteurs enthousiastes. On retiendra également ce superbe néologisme – le verbe "empoissonner" – qui semble tresser une humide guirlande "poison, poisson et poix". Malheureusement, le verbe existe et signifie tout simplement "peupler de poissons". Mais peut-être qu'Aurélien Bellanger, à qui on n'aura pas l'outrecuidance de donner des leçons lexicales, a simplement voulu dire que Nabokov frayait un peu trop avec l'ironie? Enfin, on remarquera que la notion d'"exercice de style" et de "ratage" forment un couple assez uni dans l'esprit de l'auteur de La Théorie de l'information. On attend avec impatience ses prochaines déclarations sur "la nullité objective de Butor", les "âneries pérorantes de Pinget" ou "l'ineptie graveleuse de Guyotat"…
C'est bien gentil de se moquer de ses petits camarades, mais vous quel est le chef-d'oeuvre qui vous déplaît ?
RépondreSupprimerPour ma part, c'est l'oeuvre de Derrida qui me semble une vaste supercherie...
Le chef d'œuvre qui me déplaît? Euh… "Et puis après", de Maurice Carême…
Supprimeril ne se mouche pas du pied bellanger, pour exécuter Nabokov en quelques mots... Audiard avait raison, les cons osent tout, c'est à cela qu'on les reconnaît
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RépondreSupprimerAucun livre de Gracq ne m'est tombé des mains, jamais: c'est sans doute dû à ma passion immodérée pour les livres "surécrits" (sic),ou alors au fait que je n'ai peut -être pas fait attention...
Bellanger a quand même la bonté de repêcher Ada et de " tout pardonner (à Nabokov)". Il faudrait ajouter sur les prochaines éditions d'Adaorardor un joli bandeau rouge : "Bellanger lui a tout pardonné".
RépondreSupprimerPoser une question littéraire à Bellanger puis à Chevillard relève de l'ironie... un peu comme si on demandait la racine carrée de 3364 à Ribéry puis à Cédric Villani...
RépondreSupprimerNuméro complémentaire: le 58.
SupprimerCe qui peut paraître vaguement comique, dans cette petite histoire, c'est d'abord que l'on puisse se référer à Belle du Seigneur comme chef-d'oeuvre lisible ou illisible. Je croyais que c'était tout simplement un livre très mauvais, que Gallimard se gardait de publier en Folio pour des raisons bassement financières.
RépondreSupprimerOui, c'est connu, Nabokov écrivait des livres sur des sujets un peu faibles et son ironie pleine de poissons n'arrangeait rien.
RépondreSupprimerNotre époque ne laisserait pas passer de telles fautes de goût.
Bon, il se trouve que Belle du Seigneur existe en folio, mais ne pinaillons pas…
RépondreSupprimerIl existe, maintenant, mais autrefois il n'existait pas, et même si le thermocollage n'était pas à l'époque ce qu'il est aujourd'hui, l'argument de l'épaisseur ne tient pas une seconde, car il y avait tout un tas de romans publiés en deux volumes : "Terra Nostra" de Carlos Fuentes, par exemple, ou "Crime et Châtiment", par exemple ; mais ne pinaillons pas (c'est juste que, lisant l'article que vous aviez pointé, les bras m'en sont tombés : comment peut-on définir la lisibilité et l'illisibilité d'un chef-d'oeuvre (concept par ailleurs complètement niais mais ne pinaillons pas) par rapport à "Belle du Seigneur" ? (et les jambes ensuite, lorsque je découvris la diatribe de Mathias Enard contre "Les Gommes", qui n'est pas en effet ce que Robbe-Grillet a écrit de plus amusant, mais à la question que pose Mathias Enard, à savoir comment on a pu considérer RG comme le pape du Nouveau Roman (concept par ailleurs complètement frauduleux, mais etc.), la réponse est fort simple : en lisant l'année de parution, c'est-à-dire 1953)).
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