Les questions, c'est bien. Ça appelle des réponses. Enfin, pas toujours. Mais bon, ça stimule. Surtout dans la vie de tous les jours. Vous avez encore des ficelles pas trop cuites ? Oui, vous en voulez combien? Bref, c'est pratique, les questions. En revanche, en littérature, c'est souvent déplacé, malvenu. Par exemple, dans les entretiens. Parce qu'on peut s'entretenir sans poser de questions. Si, si. On peut avancer une proposition, charge à l'auteur de "rebondir" (l'auteur est un ballon qui s'ignore). On peut bien sûr poser des questions à un auteur, mais reconnaissons que neuf fois sur dix, la réponse est dans la question, tel un fortune cookie dans son emballage. Du genre: Diriez-vous que votre écriture est lyrique? Ou: Votre roman n'est-il pas un peu sombre? En général, on nuance sa réponse pour que la question ne paraisse pas trop simpliste, et aussi pour éviter d'aligner les oui comme si on était le pire cauchemar de Oui-Oui.
Mais le pire, ce sont sûrement les questions qu'on trouve dans les romans. En général, elles servent à rassurer le lecteur. A lui dire, oui, moi aussi je me pose les mêmes questions que toi. Du style: Charles Bodlère avait-il vraiment entendu ce qu'il venait d'entendre? Pamela Puffry allait-elle céder à de si grossières avances? Et cetera. L'auteur qui pose par écrit des questions est souvent pareil au boiteux qui agite ses béquilles, l'air de dire, avec ça on devrait aller plus vite. Mais la question posée en plein paragraphe peut être pire encore, dès lors qu'elle joue les commentaires. Vous décrivez une scène, puis vous interrogez. Vous interrogez qui, d'ailleurs? Vous-même? Le lecteur. Sûrement pas la postérité en tout cas. C'est de la pure rhétorique, pour ne pas dire un réflexe phatique, destiné à vous assurer que tout le monde suit. Vous racontez par exemple une rencontre, puis vous posez la question: Cette relation allait-elle durer? Aussitôt suivi de : Maurice Choubidou n'aurait su le dire avec certitude. (Oui, parce que tant qu'à poser une question conne, autant refiler la réponse dans la foulée.) On devrait toujours se méfier des questions en littérature, qu'elles soient posées par l'auteur (coucou c'est moi qui écris et en plus, vous savez quoi? je m'interroge, je reufleuchis) ou par le personnage (Mais que fous-je dans un chapitre aussi niais?).
Mais le pire du pire du pire, c'est quand la question essaie de se faire passer pour une réflexion. Quand elle aspire au général avec la bouche goulue d'un aspirateur à rien. Prenez le nouveau roman de David Foenkinos, Je vais mieux. On le sait depuis l'analyse d'Eric Chevillard, Foenkinos est le chantre de la littérature pavillonnaire. Du coup, les questions, il aime ça. Son dernier livre raconte l'histoire d'un homme qui a mal au dos. Pourquoi pas. Au moins, ça laisse espérer que son personnage est bidimensionnel. Eh bien, Foenkinos, il nous en pose des questions, ou se les pose à lui, bref il les pose, un peu comme des coussins sur un canapé, en espérant que les coussins seront assortis au canapé (et surtout en s'imaginant qu'on aura envie de s'asseoir sur le canapé de son récit entre deux moelleux coussins narratifs). J'en ai relevé trois de taille, rien que dans les vingt premières pages, et je vous les livre telles quelles (n'hésitez pas à y répondre mentalement quand vous serez aux urgences en train d'attendre, mais pour vous faire gagner du temps je me suis permis d'y répondre très sincèrement entre crochets ):
• "Était-on conditionné de nos jours à prévoir toujours le pire ?" [Réponse: Oui]• "Comment peut-on être certain que le présent prendra la forme du toujours ?" [Réponse: On ne peut pas.]• "Qui peut croire d’ailleurs au vieillissement ?" [Réponse: Les personnes âgées, les gérontologues et les momies.]
Bon, le problème avec ce genre de questionnements, c'est qu'ils fricotent tellement avec l'universel que très vite l'auteur a envie de se lancer dans un nouveau genre littéraire: les réponses. Mais des réponses qui se passent bien entendu de questions. Des réponses qui frôlent l'affirmation. Des vérités si générales qu'on se met très vite à chercher les galons sur leurs épaules. Ça donne des choses comme ça, chez Foenkinos:
• "La vie n’avance pas sur nous."ou encore :
• "L’écart d’âge est la seule distance impossible à modifier entre deux personnes."
On a envie de dire que la même chose vaut pour l'écart de style, mais à quoi bon en rajouter (ici, pas de point d'interrogation). On se contentera de rappeler que "la question" désigne également un phénomène pas si éloigné de certaines lectures, et rimant qui plus est avec ce dernier mot : la torture. On aurait pu d'ailleurs formuler la chose autrement, par exemple ainsi: "N'existait-il pas un autre terme pour désigner la torture? Oui, bien sûr, ça lui revenait à présent. Il s'agissait de la question." On aurait pu, mais à quoi bon poser d'inutiles questions (?).
Les écureuils de Central Park sont-ils tristes le lundi ?
RépondreSupprimerEst-ce toujours le même qui pose une question différente pour ajouter à la variation
RépondreSupprimerGertrud Stein approuve ce message.
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