Ecoute les Sonates pour piano préparé de John Cage. Ecoute
d’abord la préparation, puis le piano, et enfin les sonates. Ecoute la
préparation de la préparation, quand dans le ventre en bois les mains
s’affairent, pinces sous capot, parce que le plan, tu le sais, exige en amont
quelques centaines de petits sabotages précis et délicieux. Les cordes sont
tendues, comme celles au fond de ta gorge, ou celles qui pendent aux arbres
sous lesquels un jour tu passeras, insouciant. Elles sont tendues et pourtant elles
veulent jouer, alors glisse-toi dans la machine, rampe sous les barbelés et
dispose ici et là des pièges, des bombinettes, des morceaux de gruyère destinés
à attirer la fâcheuse souris de l’ennui. Ecoute les Sonates pour piano préparé
de John Cage, et regarde ta page avant que ça déborde. Le son se prépare :
au pire, sans doute, mais également à tout ce qui fait que tu n’es pas
capitaine, pas boucher, pas notaire. Le son s’avance en écho d’un autre son
dont tu ferais mieux de te méfier. Ce n’est pas un conseil, mais un
avertissement. Ce n’est pas un concert gratuit destiné à complaire aux oreilles
orphelines, mais un interrogatoire serré pendant lequel tu n’as pas le droit de
parler. Bien, le piano est préparé et tu commences à savoir non seulement ce que
tu veux écrire, mais aussi, mais surtout ce que tu ne veux pas écrire.
L’architecture du hasard a été réduite à sa plus cruelle et sa plus pimpante
expression : que tes doigts s’en souviennent au moment de s’aventurer sur
le sentier de boue, de feu, de cris et surtout, petit malin, de papier. Ecoute
les Sonates pour piano que t’as préparées John Cage. Le piano ? Quel
piano ? Tu penses vraiment que l’idée du piano préexiste à l’idée de
notes, qu’écrire ce que tu as dans la tête va t’aider à mater la phrase comme
si tu étais le dernier polichinelle sur terre. Come back on earth. Tes
intentions, louables, louées, sont déjà périmées. Viens. Laisse venir les
accidents. La composition que tu, soigneusement, as, scrupuleusement, préparée
— ne l’habille pas trop chaudement, ne l’habitue pas trop aux mouvements
gracieux et aux articulations de salon. A peine auras-tu poser les dix petits
cadavres de tes doigts sur le clavier qu’il se produira ce que tu ne
souhaiterais même pas à ton pire étrangleur. Alors entre dans la cage pour
sornette préparée de John. Allonge-toi dans son piano, parmi les marteaux qui
meurtrissent et les cordes qui cinglent. Ecoute chaque note, extraite au
préalable de sa gangue, bousculée déjà, ni froide ni chaude. Ce n’est pas un
conseil, mais une peignée, une raclée, un retour aux fondamentaux. Tu es un
interprète aux yeux pleins d’encre que la virtuosité fait mouiller, alors fais
attention, alors fais sécession, de toi, de tes bonnes idées et pratiques
intuitions. Le piano a été préparé ? Sans doute. Le clavier aussi. Par
qui ? Dès que tu poses des questions, elles explosent. Ne pose pas de
questions. Prépare ton clavier, même quand tu es loin de lui. Crois-moi :
ta vie est la dernière sonate que tu souhaites entendre.
J'écouterai certainement ces sonates, suite à votre foisonnante recommandation. Mais plus qu'écouter ces pièces, j'écrirai, probablement dans le silence d'un 4'33".
RépondreSupprimerFoisonnante, merci pour l'adjectif !
RépondreSupprimerMerci pour ce texte qui peut donner envie, certes, d'écouter du John Cage, mais qui entretient ou relance bien plus encore mon envie de lecture ! Ça, qui est merveilleux dans ce texte !
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