jeudi 3 mars 2011

Le son du silence


Parler des livres? Faire parler les livres? Ou bien parler depuis un intérieur investi, parler juste à côté, dans l'ombre de ces livres dont on ne sait parfois comment parler… Mais "parler" est bien sûr un terme inexact. Car c'est d'écrire dont il s'agit. Rien d'anodin, donc. Ecrire sur ce qui s'écrit, non pour fabriquer une parole, mais pour doubler, prolonger, tester la résistance de, essayer d'ébrécher, malmener amoureusement ces livres qui proposent des lectures encore en devenir, étant eux-mêmes en devenir (puisqu'on ne parle guère – pardon: puisqu'on n'écrit guère sur ce qui s'écrit sans corps-à-corps avec l'écriture, sur ces livres "déjà" écrits avant d'être rédigés). Est-ce affaire de critique? Quelle distance cherche-t-on, plutôt, à abolir? Pas facile. Une envie, évidente, de goûter leur cambouis, de palper leurs organes, de boire leur venin. L'impression, parfois, d'ajouter à la discrétion de ces livres la crème un peu brûlée de notre émotion, de leur accrocher au pare-choc des casseroles sans doute inutiles. Mais ce sont eux, après tout, qui nous donnent envie d'écrire, d'écrire non pas tant sur eux que sur le mouvement d'écriture que leur propre volition a sollicité. Ici, lisons ces lignes salutaires signées par l'écrivain Philippe Annocque, qui, pas plus tard que mardi dernier, s'interrogeait ici sur le bruit et le silence "aux environs de" la chose littéraire, et en particulier dans le sillage des livres préoccupés (au sens, presque, de "soucieux") par la raison poétique:

"Il n’est jamais si difficile en effet que de parler d’un livre vraiment singulier ; il faut trouver des mots qui n’existent pas encore, et quand on les a trouvés c’est pour se rendre compte qu’ils auront toutes les chances de n’être pas compris : comment faire sentir au lecteur quelque chose qu’il n’a pas encore senti ? Mais comme il faut écrire son avis quand même, l’opinion est un rite auquel on ne saurait déroger, on écrira plutôt sur tel autre livre parce que c’est plus facile et qu’il n’est pas si mal, ou sur celui qui ne vaut pas grand-chose parce qu’on peut plus aisément dire pourquoi.

Parfois je me demande si ce bruit autour (à la périphérie) de la littérature ne finit pas par lui être encore plus nuisible – plus trompeur – que le silence qui en réalité l’entoure."


On ne saurait dire mieux. Mais puisque nous adhérons si fortement à certains livres, puisque parfois ils brisent en nous la mer gelée, ne pouvons-nous espérer que leur folie saura raisonner , et informer, notre approche, notre abordage ? Que leur parti pris des choses réussira à guider notre compte tenu des mots? Que leur sécession fera de nous des "alliés", au sens deleuzien du terme?
J'ébaucherais bien une réponse, mais hélas j'entends miauler la tribu de chats que je dois fouetter pour qu'ils aient une chance d'avoir neuf vies. On essaiera donc, encore et encore, de mieux échouer à cette inquiétante mais grisante praxis.

(Image: Le Caravage, Le Doute de Thomas. 1602-1603. Sansouci, Potsdam, Allemagne)

1 commentaire:

  1. Mais ça passe. Explication ou mode d'emploi, non, contagieuse, irrepressible démangeaison en revanche, oui. Hublot & Clavier nids d'affections.

    RépondreSupprimer