lundi 28 mars 2011

En apparence épars: Deleuze


L’Anti-Œdipe a été pour moi une formidable boîte à outils, un déclencheur essentiel dans ma formation. En plus d’intensifier mon rapport à la philo et de désinhiber ma perception de ce qu’était un concept, ce livre a su élargir l’étrange famille « psycho-lubrique » dont Artaud était déjà, pour moi, la pierre d’angle incendiaire. Büchner, Kleist, Boulez, Schreber, Kafka, Michaux… Un grand vent transversal qui permet soudain de relier des points en apparence épars, non pour établir une constellation de références tendant vers un quelconque panthéon, mais pour révéler des intensités, des lignes de fuite, etc. Je garde de mes premières lectures barbares de L’Anti-Œdipe, puis de Mille Plateaux, un souvenir jubilatoire, l’impression d’une perpétuelle déflagration. Surtout, je me sentais entrer en résonance avec cette idée que l’on ne crée pas pour se constituer en sujet, en petit ego bavard, mais plutôt pour se fragmenter, laisser passer les flux : l’écriture comme processus de dépersonnalisation. Et puis il y avait aussi tout cette vision de la littérature américaine, que Deleuze et Parnet développèrent entre-temps dans Dialogues. Sans ces lectures intempestives, sismiques, je ne sais quel parcours aurait été le mien. Ça avait un petit côté savant fou, ça déconnait, ça riait – et surtout : ça fonctionnait, autrement plus que l’impératif catégorique kantien… Curieusement, les œuvres croisées de Deleuze et Guattari ont eu plus d’influence sur mon parcours « littéraire » que certains écrivains. Les nombreux concepts mis au point par DG ne forment en rien un système figé, et continuent de polliniser ma façon de traverser la fiction et ses formes. Si devenir, au sens deleuzien, c’est non pas se réaliser en tant que sujet mais au contraire expérimenter différents états, aspirer in fine à l’imperceptible, etc., alors il est clair que mon devenir-deleuzien n’est pas prêt de faner. Pousser par le milieu : tout un programme…

1 commentaire:

  1. des écrits qui ne s'offrent point aisément au lecteur égaré - ou pas, soyons honnêtes ... la littérature est un combat... magnifique, en ce cas... malgré les 55 € (cinquante-cinq euros) que l'on débourse pour se procurer les deux tomes de "capitalisme & schizophrénie" (une somme, pour votre serviteur...) "passent les flux"...
    appréciable, le "ça déconnait","ça fonctionnait" sinon...
    l'illustration de cet article pourrait être signée édouard levé, ou bien ?

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