jeudi 3 mars 2011

Démollir, dit-il

On s'est un peu agité ces dernières heures dans la blogosphère (et ailleurs, rassurez-vous) sur l'article paru dans le Figaro qui recense (1 individu) le dernier livre d'Eric Chevillard (Dihnneau Eghheurre). Article assez méchant, dix ratons, mais qui au moins a le mérite (ouche) de ne pas craindre (aïe) de s'attaquer à un écrivain (meuh) respecté. Mais bon, on n'est pas là pour décerner des lauriers (ou de la sauge?) à l'audace crrrrrritique de la presse, plutôt pour piger ce qui se passe (what the fuck is happening??).
Parce que c'est bien beau de descendre en flèche – quoique sans arc et guère de muscles dans l'avant-bras, chtoïïïïïnggg – un auteur qui fait partie des rares à bâtir une "œuvre" (bon, c'est un terme un peu technique, mais si vous comprenez les mots "organisme", "variation", "rhizome", ça devrait aller tout seul), encore faut-il "penser" un tantinet (et par là je ne veux pas dire qu'il faille pense le tantinet, ça serait trop compliqué). Ce n'est pas tant le ton condescendant (nul contrepèterie, hein) de l'article qui me choque, ni ce qu'il énonce. Car qu'énonce-t-il (si tant est qu'il énonce quoi que ce soit)? Que Chevillard écrit toujours le même livre. Soit. Heureusement que Proust n'est pas paru en feuilleton. Ne revenons pas sur le fait que c'est faux, puisque Chevillard n'écrit pas le même livre, mais change, plus souvent qu'on ne le croie, de cible, d'objet, de vitesse etc. Non, ce qui me chiffonne, c'est le titre, tellement intelligent, de l'article, et qu'apparemment on n'a pas assez, voire pas du tout, commenté.
Car "Démollir Chevillard", évidemment, c'est malin. Outre que ça renvoie peut-être, critique oblige, à "Oublier Foucault" (là, rions), ça renvoie bien sûr au titre même du livre de Chevillard. Mais ouh là là, attention. C'est "démollir", et non "démolir". Jeu de mots. Enfin, de mot, y en a qu'un. Ça veut dire quoi "démollir"? Rendre plus dur? plus mou? Bon, on va dire: plus dur. Je lui dirai à Eric, je lui dirai de durcir, je suis sûr que ça l'amusera en trois paragraphes. Durcis, Eric, et tant pis si ça fait mal. Non, je ne lui dirai pas ça. Je me vois mal commencer un email à Erci Chevillard par "Durcis…" Je préférerais parler avec lui charançon et canne-épée. Passons. Le dur, le mou, j'ai beau avoir lu Lévisse & Strausse, ça ne m'en touche qu'une, comme disait l'autre.
Mais que veut dire l'auteur de cet article? La moelle (sans sel, sans pain, sans os, sans quadrupède ni colonne vertébrale) est pourtant là, simple, nickel, chrome, étain, rétamée, efficace:
Ces exercices de style parfaitement rigolos et vains n'ont d'autre prétention que de démontrer que la littérature est un exercice de langage rigolo et vain. On a envie de dire à Chevillard que ça va, ça y est, depuis vingt-cinq ans qu'il fait la même démonstration de virtuosité tournant à vide, on a compris le message.
"On a compris le message": autrement dit: circulez! Y a rien à dire. Modiano écrit le même livre? Circulez! Guyotat baragouine en loop? Circulez! Bon, Beckett et Ionesco savaient se renouveler, je suppose, et à mon avis on peut donner à l'auteur de l'article du Figaro n'importe quel roman de Beckett, il vous dira fissa si c'est du Molloy ou du Murphy. Yeux bandés. A défaut d'autre chose, hum.
En fait, ce que ce papier, qui rappelle étonnamment la texture d'un faramineux nappage de crème fromagère Kiri par sa profondeur et sa saveur, cherche à nous dire, c'est que la littérature qui dispense des messages c'est bien, c'est parfait, on veut du réel ras la gueule, du bureau, de la famille, y a pas de doute là-dessus, mais en revanche, le message qui ne comporterait pour seul message qu'il n'y a pas de message, que la littérature n'est pas un commis voyageur immobile, c'est rigolo mais vain. Pire: rigolo et vain. Balzac, tu radotes, yo!
Bon, tout ça n'est pas très grave, juste amusant comme un bonbon collé à la semelle d'un homme vêtu de gris souris sans kiri qui s'avance sur un tapis rouge couleur sang de navet (je trouve cette image rigolote et vaine). Mais quand même, cette pulsion qui pousse à qualifier le livre d'Eric Chevillard d'"expérience gratuite" est assez pathétique. On dirait une citrouille déguisée en oxymoron.
Non, l'expérience n'est pas gratuite, monsieur. Je répète: non, l'expérience n'est pas gratuite.Et en rédactionnant cet articulet, son auteur a réussi ce tour de force assez improbable de devenir le premier Dinosauregger dont on se souciera fort peu de l'extinction.
Bon, on peut parler d'autre chose maintenant? Parce que j'ai plein de livres rigolos et vains qui m'attendent sur ma planche de chevet: Vies potentielles, de Camille de Toledo, Splash, de Dirk van Bastelaere, Le Champ, de Judith Elbaz, La Débâcle, de César Fauxbras, Derrière mon bureau, de Werner Kofler, Escales à Lycanthropolis, de Petrus Borel, Tout public, d'Antoine Boute – et j'en passe.
Allons, que les nouveaux lionceaux de la critique littéraire rédigée imprimée diffusée pilonnée se rassurent – les blogs se branlent bas, sans doute, mais leur combat est ailleurs : sous le sol, là où l'under gronde (et là, c'est assez rigolo? assez vain? zou: passez muscade…)
Je crois que je vais relire Choir. Ou Choir mieux? Choir encore? Ou Différence et Répétition?

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je découvre à l'instant votre billet, après celui de François Bon, comme quoi je lis vite et mal, billet de FB sur lequel j'avais mis sur Facebook deux commentaires où l'oxymoron m'était apparu comme une évidence, je suis ravi que cette évidence vous soit apparue avant moi.

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  2. En complément, les tourments d'Eric Chevillard : http://www.lesmarges.net/files/1d497818c34677f840d44520ac693c4d-1271.html

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  3. Le message précédent n'était donc pas un message anonyme.
    En complément, les tourments d'Eric Chevillard : http://www.lesmarges.net/files/1d497818c34677f840d44520ac693c4d-1271.html

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