Andreï Roublev, d'Andreï Tarkovski, 1969 (tourné en 1966), 2h45
Là encore, impossible et vain de revenir sur ce film en quelques lignes. Arrêtons-nous donc sur le prologue qui, comme c'était le cas pour Le Miroir, tient une place autonome et profondément métaphorique. On y voit (très brièvement, car on a surtout son point de vue subjectif) un dénommé Yefim occupé à la préparation d'un ballon à air chaud, au moyen duquel il s'envole, in extremis (ils sont attaqués…) du haut d'une église – l'église de l'Intercession-de-la-Vierge. Il survole alors le paysage, rase les eaux de la Nerl (on est Bogolioubovo) et plane au-dessus du couvent, avant d'atterrir en catastrophe.
Avant de narrer la vie du peintre Andreï Roublev, dont on sait fort peu de choses, le cinéaste s'est donc concentré sur cet étrange homme volant, s'inspirant d'un certain Furvin Kriakutnoi, lequel aurait précédé les Montgolfier dans leur invention, et aurait effectué un premier vol au début du 18ème siècle aux environs de Kostroma.
La scène est haletante. Il y a urgence. Des soldats attaquent de partout, tentent d'empêcher l'ascension. La ballon est une chose grossière, une espèce d'animal informe à la peau rugueuse, qui enfle et se cabre au milieu des cris et des échauffourées. On peine à trancher les longes qui le retiennent au sol. Une fumée noire et grasse pénètre difficilement dans ses entrailles. Enfin il s'émancipe, s'arrache, monte. On entend Yefim s'émerveiller, rire, se moquer des hommes cloués au sol, on le sent balloté entre la surprise et la joie.
A la libération de cette forme répond, dans le film, une autre scène de "formation", celle de la cloche monumentale que fait construire Boriska, qui pourtant n'a pas hérité le secret de sa fonte. La cloche et le ballon forment pour ainsi dire les parenthèses du film. Deux formes creuses, nées d'une pure volonté, travaillées à l'instinct et dans la précipitation, chacune motivée par la nécessité de sauver sa peau (Yefim est attaquée; Boris risque la décapitation en cas d'échec). Deux formes qu'il va falloir ouvrir au sens. Et entre les deux, la vie de Roublev, ses stations de croix, ses doutes, ses renoncements, son entrée dans le silence puis sa décision de se remettre à peindre.
L'air chaud de l'audace envahit la toile rugueuse, le vent furieux du battant anime la cloche. L'envol est un pari contre les hommes, un acte de foi, un combat contre le vide. Un cadre en expansion, en attente de résonances.
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