Bon, l'été a vraiment commencé. Le Clavier Cannibale en profite pour ressortir de ses cartons quelques posts anciens, pour ceux ou celles qui les auraient ratés. Histoire de revenir sur des livres admirables, entre autres.
© YR — (D.R.) |
En Kafka, et surtout en Joseph K., Georges-Arthur Goldschmidt a trouvé son double, la clé d’un unheimlich destinée à une serrure aussi mentale que charnelle. Mais avant de découvrir Le Procès, il a longtemps erré dans des limbes labiles, entre allemand et français, entre langue maternelle prise en otage par le nazisme et langue d’exil devenue salut. C’est par Pascal, nous raconte l’auteur, qu’a eu lieu le saisissement, la « saisie », par laquelle l’adolescent parvient enfin à penser, littéralement, ou mieux, pire : littérairement, son corps. Voué à l’opprobre comme à la culture du châtiment en vigueur dans l’internat où il résiste, l’auteur trouve dans la lecture, et dans la langue classique, le contre-fouet nécessaire, une autre forme de respiration. L’obligation qui lui est faite de se sentir déplacé, liée à l’impérieux désir d’être situé, font qu’il va extraire de sa condition d’orphelin, mais d’orphelin riche de deux langues, une « inexpugnable souveraineté », laquelle lui permet de dire et penser, à proportions égales, en octobre 43 : « Je suis, en dépit de vous. »
Mais l’aventure de la langue, ou plutôt de l’entre-langue, passe chez Goldschmidt par une expérience avant tout physique. Il éprouve la musique, la syntaxe et la profondeur de la langue comme on apprivoise une fièvre, afin de mettre le doigt avec précision sur ce qu’il nomme « point de sidération », et qui est comme un écho à ce « poing dans la bouche » que son titre emprunte à Kafka. Par delà l’affrontement entre deux mondes linguistiques, deux cultures, deux voix, l’auteur entend autre chose, peut-être la crispation d’un soi en quête d’épanouissement. Il dit ce que peut être un livre, une lecture, dans son essence bouleversante :
"Il y a ainsi quelques rares livres grâce auxquels on parvient à se libérer de cette menace toujours présente de la démence précoce, des livres dont on découvre qu’ils empêchent de de gratter le sol, de griffer l’herbe […]."
Griffer l’herbe, briser la mer gelée qui est en nous : deux images qui renvoient à un geste fondateur, violent, indispensable. Et Goldschmidt de dévoiler page à page les lectures qui l’ont saisi et aidé à devenir : Pascal, La Bruyère, Rousseau, Hector Malot, Flaubert, Rimbaud, Artaud – pour les écrivains français. Hölderlin, Kant, Handke, Walser pour les Allemands. Puis vint Kafka, confrère en langue mineure, et l’auteur put enfin réinvestir cet allemand d’enfance qu’avait défiguré la LTI.
Réflexion sur la culpabilité inique, le corps du soi et le tremblement de la langue, Le Poing dans la bouche est « poignant » au sens le plus concret : main tendue vers des objets immatériels, qu’il faut néanmoins saisir, palper, presser, afin qu’en coule un jus autre qu’interdit. Ce que Goldschmidt exprime parfaitement quand il écrit :
"Je suis ma propre inappropriation, c’est ce qui me fait exister."
_____________
Georges-Arthur Goldschmidt, Le poing dans la bouche, éd. Verdier, 13 euros
Il est question d'abréviations etc ce matin... Je ne connaissais pas le sigle LTI, j'ai cherché sur internet. Trois envies de découvrir : Klemperer et son Journal, donc ; Georges-Arthur Goldschmidt ; et Hector Malot (souvenirs d'enfance confus et intenses, du dessin animé, du générique "Je suis sans famille, et je m'appelle Rémi, et je me balade avec tous mes amis, venez avec nous, dans nos aventures, Vitalis etc...)
RépondreSupprimerD.