vendredi 1 juillet 2016

De quelle couleur est l'écriture d'Erica Jong ?

Jong, avec Jim (cheveux noirs) et Allen (front dégarni)…
On se demande parfois ce qui se passe dans la tête des personnes qui rédigent les quatrièmes de couverture de livres. On se le demande parfois, parce que si on se le demandait souvent, on finirait par avoir des crampes. Prenez 'Erica Jong, qu'on ne doit plus guère lire aujourd'hui, et c'est bien dommage, mais qu'on lisait beaucoup dans les années 70. Cette Américaine, porte-parole du féminisme, a été connue à peu près à la même époque en France lorsqu'on été traduits ses deux principaux ouvrages, Le complexe d'Icare et La Planche de salut.

Ce dernier ouvrage, traduit par Georges Belmont et Hortense Chabrier, fut publié chez Robert Laffont en 1977, autrement dit la même année que sa parution américaine. C'est dire le vif intérêt qu'y portait l'édition française.  Dans cet ouvrage, Jong raconte quelques années cruciales de la vie de son alter ego, Isadora, en pleine déprime après son succès littéraire et l'échec de son mariage, et comment celle-ci va parvenir à s'affranchir des limites imposées à sa condition féminine. Ce qui n'est pas gagner, quand on vit dans un monde où le critique le plus influent de l'époque explique à qui veut l'entendre que "la femme est biologiquement incapable d'écrire, en prose comme en vers".

Respect à Laffont donc d'avoir publié Jong, même si, bon, ne nous leurrons pas, le livre était un best-seller aux Etats-Unis et que c'était sûrement alléchant. Quoi qu'il en soit, j'ignore si les éditeurs de Laffont étaient alors de fervents défenseurs de la cause féminine, mais je vous laisse découvrir comment nous est présentée l'auteure sur le rabat (dans l'édition de 77):
"Erica a trente ans, elle est blonde, elle doit son nom à son second ex-mari, d'origine chinoise, qui est psychanalyste."
Oui, vous avez bien lu: elle est blonde! En quelques mots, malgré de bonnes intentions éditoriales, on a droit à la trilogie sexiste de la présentation de personne : le recours exclusif au prénom (je ne crois pas qu'on présentait Henry Miller en disant : Henry a quarante-trois ans), la couleur des cheveux (là encore, avez-vous lu quelque part que Henry Miller était chauve?!), puis l'exégèse du nom, aimablement offert par l'époux dont on apprend même la profession.

Bien sûr, c'est anecdotique, mais n'est-ce pas la persistance de cette dimension prétendument anecdotique qui pourrit la vie des femmes? Je ne sais combien il existe de livres où l'éditeur nous précise la couleur des cheveux de son auteur, mais je doute qu'ils soient écrits par des hommes. Comme quoi, la nuance, c'est pas que dans la tête.

3 commentaires:

  1. "You're way wrong (...)
    I read Erica Jong!"

    Bob Dylan, "Highlands"

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  2. "Ce qui n'est pas gagner..." Gagné, plutôt.

    Ce critique le plus influent de l'époque, qui explique à qui veut l'entendre que "la femme est biologiquement incapable d'écrire, en prose comme en vers", c'est Harold Bloom, non?

    "...comment nous est présentée l'auteure sur le rabat (dans l'édition de 77): "Erica a trente ans, elle est blonde..."

    Moi j'ai pensé tout de suite que c'est une femme qui a écrit ça et qu'il y a, dans cette précision, de la "rivalité mimétique", comme dirait René Girard.

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  3. Vite en publier un autre avant la calvitie totale !

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