jeudi 28 juillet 2016

Dans ton QI


On n'est jamais si bien desservi que par soi-même ou le tram. Pas plus tard que le 17 décembre 2013, alors que je traduisais à tâtons une page de Mark Leyner (extraite de son dernier livre, Divin Scrotum, paru en Lot 49), je suis tombé sur un passage qui m'a vite rappelé que j'étais né avant l'invention du smartphone-for-stupid-people). Le passage était le suivant:
"DYHAB DUM DUBWHTPHFIYAWYC GYPO IWFU DYSL GNOC SMB EWI ATG CTA (etc.)".
Considérons le contexte plutôt que le homard. Il est question d'un dieu fou qui pertube l'ADN des messages entre humains — aussi ai-je cru dans un premier temps que l'auteur jouait simplement avec les lettres, tel un joueur de scrabble ivre (ma naïveté is without bornes…), puis, conscience professionnelle oblige (et avec l'aide d'un soupçon de méthylphénidate), j'ai un peu gratté la chose (scrouich scrouich) et compris que ce passage était en fait, hum, du langage… SMS (acronyme signifiant, et ne faites pas comme si bien sûr vous le saviez: "short message service").

Par exemple, DYHAB veut dire "Do You Have A Boy-friend" – t'es-tu accouplé(e)?. IFWU signifie à peu près "I Will Fuck You" – je vais t'aimer comme on ne t'a jamais aimé(e) (et non  "Independent Factory Workers Union", comme je l'avais très naturellement subodoré à première lecture). CTA veut dire apparemment "Cover Thy Ass" (Surveille tes arrières, ou Protège ton popotin, mais non : Ciel Ton Ami).

Heureusement, mes filles (qui ont fait des études supérieures) m'avaient inkulké qlq jours + tôt de novatrices joyeusetés du style CMB ("comme ma bite") ou DTC ("dans ton cul") ainsi que le très allusif "CTM" ("comme ta mère"). Bon, étant donné que je leur avais expliqué vingt ans plus tôt ce que signifiaient CQFD, QED et ETC, ce n'était là qu'un juste échange de procédés. (Faudrait pas non plus qu'elles s'imaginent que leur génération a inventé l'abréviation, non mais.)

Bref, tout ça pour dire que dès lors que FMUTA signifie "Fuck Me Up The Ass" (qui lui-même signifie: "je t'invite à introduire ton pénis ou tout autre objet contendant dans mon anus": en français:: "JT'IAIPOTAOCDMA"), le traducteur comprend qu'il ne peut décemment rester sourd aux innovations langagières de son temps et doit s'aventurer au-delà des primitifs LOL et MDR. Globalement, ça veut dire que le traducteur est obligé de traduire plusieurs fois (d'abord du langage sms anglais en anglais désabrégé, puis de ce désabrégé en langue anglaise, puis de la langue anglaise en langue française, puis de la langue française en langue sms française…). Donc, traduire… quatre fucking fois!! Et ce pour le même tarif!!!! 

Il est grand temps, je crois, que les traducteurs se rebiffent et demandent un tarif quadruplement supérieur au tarif préconisé par les éditeurs et l'ATLF (l'association des tricheurs linguistiques fous?) dès lors qu'il s'agit de traduire des ouvrages comportant des expressions abrégés (sans compter que, comme nous sommes payés au signe, WTF – what the fuck! ou where to fly ?– ne rapporte pas lourd comparé à "non mais qu'est-ce que c'est que cette connerie?!"  VM'AC !, comme disait 2Gol.


Bonjour, nous sommes jeudi et une fois de plus, tout baigne dans l'irréalité immédiate.

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