mercredi 5 mars 2014

Viol et consentement: le triomphe de la volonté (de négation)

Je vais vous la faire courte. C'est un fait divers américain. En mars 1995, Patricia Esparza est violée par un type qu'elle a rencontré dans une boîte, un certain Gonzal. Elle raconte tout à son petit ami quelques semaines plus tard, celui-ci lui demande de lui désigner le violeur et, avec quelques potes, le kidnappent et le tuent. Bon, en fait, c'est plus compliqué que ça. Peut-être qu'Esparza a participé au meurtre. Qu'elle a incité son copain à tuer Gonzalo. Quoi qu'il en soit, elle est aujourd'hui accusée de meurtre, et la justice américaine lui conseille de plaider coupable si elle veut n'écoper que de cinq ans de taule. Mais ce qui est intéressant dans cette affaire, ce sont les propos tenus par les deux policiers qui penchent pour la thèse de la complicité/culpabilité d'Esparza. Selon le premier, elle aurait "consenti [consented] à ce que Gonzalo la viole". Selon le second, "Patricia a autorisé/laissé [allowed] Gonzalo à la violer".
Il existerait donc quelque chose de l'ordre du "viol par consentement mutuel" (on va supposer que ledit Gonzalo était d'accord lui aussi, hein). On sent bien qu'il y a là comme un petit paradoxe entre la définition du viol et celle du consentement, mais apparemment ce paradoxe serait purement linguistique. C'est un peu comme si on définissait l'assassinat des dizaines d'Algériens en octobre 1961 de "suicide aquatique assisté". Certes, la notion de consentement reste floue, mais à chaque fois on retrouve le même schéma: il y a eu flirt, drague, avances, sollicitations, et au final, l'expérience sexuelle a "mal tourné". Comme si un viol était davantage une question de point de vue, une forme de revirement, qu'un crime perpétré sur autrui. Si le violeur, au lieu de violer sa victime, l'avait juste tabassée, parlerait-on "de raclée consentie"?
En fait, cette histoire de "consentement" devrait être au centre des réflexions sur la violence sexiste. Car c'est une notion profondément masculine. C'est l'homme qui en définit les contours, de toute évidence. Lui qui estime que, à défaut de volonté propre et tranchée, la femme, à sa façon "discrète", "farouche" et vaguement "perverse", se contente d'un "consentement". Le consentement comme version féminine de la volonté masculine, donc, une forme de sous-volonté, qui ne prend pas les devants mais reconnaît au contraire la toute-puissance de la volonté virile et s'y plie. Non pas un plein gré, mais un gré tiède, faute de mieux. Consentir serait reconnaître, en fait, la faillibilité de sa propre volonté. N'étant pas assez forte pour vouloir, je consens. 
Tout cela ressemble à un terrible lapsus. Au lieu de dire "subir", on dit "consentir". Comme si les deux, dans l'imaginaire viril, se confondaient… dès lors que la justice s'en mêle.

2 commentaires:

  1. Merci. Mais réjouissons-nous, il parait que le féminisme est presque mort parce que nous avons l'égalité maintenant.... les femmes d'aujourd'hui sont féminines, plus féministes, c'est tellement plus glamour la féminité. Putain de retour en arrière, j'hallucine!! Et malheureusement, l'obscurantisme, l'ignorance et la bêtise avancent dans tous les domaines.

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  2. "Céder n'est pas consentir" (Nicole-Claude Mathieu)

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