Le dernier roman de Jean-Baptiste Predali, Nos Anges, commence à la façon d’un anti-conte de Noël. L’enfant
est une fille, son lit n’est pas de pailles mais d’ordures, et les animaux
appelés à son chevet ne sont pas des bêtes d'étable mais des bulldozers lâchés
sur la terre vorace. En guise d’étoiles, un jour d’été puant où tournoient
mouettes et balbuzards. Que s'est-il passé ? Une fillette a été retrouvée dans une décharge, une
enfant dont la survie métaphorique va nécessiter d’inéluctables transfusions
dans le corps du roman. Mais Bossuet ne nous a-t-il pas prévenus dans
l’exergue :
Où sommes-nous, et où sont les anges ?Quelle est notre vie, quelle est la leur ?
On est en Corse, mais même cette précision ne sera pas explicitement
formulée. Car l’avènement ici décrit n’est source d’aucune joie, d’aucune
espérance. Un homme a en effet trouvé l’ange déchu mais a dû fuir aussitôt,
se cacher. Sa disparition, liée à cette mystérieuse et maculée
conception, va agiter l’étriquée fourmilière des bas-fonds de la ville. Car Augustin – le
roi mage en exil – a trempé dans une résistance de plus en plus sanglante, et
l’heure de la curée a sonné pour les autorités. La presse rôde, le substitut
enquête, les voyous s’agitent, les militants œuvrent dans l’ombre. Les langues se nouent ou se délient, on
ne sait, mais ça bouge, l’odeur du sang réveille les instincts.
De qui Augustin est-il le parrain honteux ? Cette question n’est
pas que rhétorique et prend, au cours du livre, les couleurs les plus crues, des
tonalités de plus en plus douloureuses : politiques, éthiques,
métaphoriques… Sous prétexte de naissance, le passé, violemment, est ravivé.
L’écriture de Predali, tour à tour picturale et incantatoire, charnelle
et granitique, rehausse les nuances des ruines, accentue les contrastes,
échauffe le souffle : le seuil du désastre a été franchi, et la phrase a
pour charge – pour fardeau, car les chapitres ici sont des stations, au sens
christique – de brasser, en un vaste mouvement baudelairien, l’ordure et
l’idéal. La phrase égrène, agglutine, apostrophe, se densifie puis, à la faveur
d’une parole rapportée, s’aère, se suspend, mêlant ainsi au poussier du
souvenir le tintement des voix. Qu’on en juge dans ce passage où est évoquée la
vie des appelés à l’étranger :
« Les caillasses des pays qu’on vous envoyait rapiécer, toi et tes semblables momentanés, avec vos bérets rouges, votre connivence de phrases toutes faites, vos chiasses impromptues, vos extases de port d’armes et de parades sous le cagnard, vos jeeps en ronde dans le fracas de tôle ondulée, vos razzias de fausses lunettes de soleil, de tissus ou de grigris sur les marchés, vos assauts bordéliques. Un jour ta mère au bout de ce téléphone, les hoquets de son chagrin passant les continents, ta mère t’annonçantil n’a pas souffertte précisantil a dit mon fils il a dit mon filset pour t’accabler autant que la touffeur de caserne délabrée qui t’entourait te demandant si tu pouvais rentrer, t’occuper de tout, messe et remerciements. Les insectes tourmentaient ton visage, à leurs jointures tes doigts crispés blanchissaient sur la bakélite. »
Roman à la fois contracté et écarquillé, disloquant toute psychologie
pour mieux écorcher les affects, hystérisant le réel dans ses moindres alvéoles
afin d’en exacerber les cruels vrombissements (car ici ça bourdonne et les érynnies ne sont pas en reste…), Nos anges parvient à faire du politique l’otage rétif d’une
poétique riche et éloquente – Bossuet n’est jamais loin… – dont le lecteur
devient, à chaque page, à chaque longue et incandescente période, le récitant
grisé, groggy, égaré. Entretemps, les cris sont devenus kyries dans cette île
perdue au sein d’une mare dolorosa.
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Jean-Baptiste Predali, Nos anges, éd. Actes Sud, 19 €
Et si ce n'est pas la question, je me demande quand même comment tous ces mots tiennent rangés dans votre tête pour pouvoir s'assembler comme autant de pièces indispensables à délivrer vos avis en arabesques de lettres toujours renouvelées, vous n’êtes pas normal et j'imagine que vous peinez à dénicher vos semblables, dans quels lieux Claro allez-vous vous nourrir et communier autour de ce feu sans cesse alimenté?
RépondreSupprimerLa Corse souvent (toujours) la prédilection de Jean-Baptiste Predali
RépondreSupprimerdéjà dans "Une affaire insulaire" (Actes Sud, 07) et "Autrefois Diana" (Actes Sud, 07)
mais l'écriture fait ressurgir cette part cachée des actes oubliés.
pesanteur des faits enfouis dans les mémoires, pesanteur que l'on retrouve, oppressante, dans les phrases. Descriptions accumulations, le tout pour sembler noyer l'action.
qui veut noyer son chien..... mais on ne tue pas un chien corse.
on y a même vu une typique écriture corse.
Un style charpenté et puissant qui n'est pas sans nous rappeler le meilleur de la littérature d'Amérique du sud.Nous suivons les chemins escarpés empruntés par des anges déchus qui se décomposent en exhalant la puanteur de leur déshonneur.
RépondreSupprimerA lire sur son transat en baie de Saint Florent un verre de rosé corse à la main. La vraie bonne surprise de l'eté pour ce roman noir.