vendredi 14 mars 2014

Le festin pue

Pour la quatorzième année consécutive, le magazine L'Express a organisé un grand déjeuner au Bristol où étaient conviés les vingt auteurs figurant en tête du palmarès des meilleures ventes de livres, palmarès établi par L'Express pour l'année 2013. Tout le monde semblait à l'aise. Il y avait Jean Teulé, Jean d'Ormesson, David Foenkinos, Lauren Baffie, Amanda Sthers, Alain Finkielkraut, Amélie Nothomb, etc. L'ambiance était plutôt débonnaire, voire bon enfant. On parlait chiffres de vente et réimpressions, prix littéraires et avances, varices et galas. Tout se passait impeccablement, les couteaux tintaient doucement contre la faïence des assiettes, les verres riaient de mille doux pétillements, les discussions voletaient avec légèreté tels des papillons de mai. Quand soudain… ce fut la panique. En effet, un léger séisme venait de secouer le cossu salon où l'on devisait jusqu'alors gaiment. Les tentures rouges palpitèrent comme des peaux d'écorchés; les tables hoquetèrent; une énorme fissure apparut dans la moquette pourtant épaisse de trois centimètres… le sol béa, révélant un immense abîme d'où bientôt sortirent, à pas lents et mesurés, une cohorte de silhouettes inconnues des invités présents. Et alors, au milieu des convives effrayés, telle une chaîne de bagnards, des hommes et des femmes vêtus simplement sortirent de l'abîme du Bristol et traversèrent le salon sans dire un mot, se dirigeant vers la sortie. Oui, sous les yeux écarquillés des auteurs de best-sellers, passèrent discrètement Marie Cosnay, Claude Louis-Combet, Kéthévane Davrichewy, Hélène Frederick, Charles Robinson, Antoine Choplin, Patrick Blouin, Jean-Yves Bériou, Patrick Beurard-Valdoye, Paul de Roux, Emmanuelle Rodrigues – ils se rendaient d'un pas tranquille dans les pages du dernier numéro du Matricule des Anges, sans même un regard pour les champions de l'édition qui se demandaient, hagards, qui pouvaient bien être ces pauvres hères dont ils n'avaient jamais entendu parler. Puis la béance se referma, quelqu'un éclata de rire et le festin reprit de plus belle. Ce devait être une hallucination due aux poires pochées à l'armagnac ou au bordeaux millésimé. Rien de grave, donc.

4 commentaires:

  1. Dans quel monde lit- on?

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  2. quoi de plus naturel ?? un ange (ou plutôt un cortège d'anges) est passé.
    l'édito (en général bien écrit) de Thierry Guichard reprend souvent ce thème des littératures "différentes"
    on sait depuis Clémenceau que "La justice militaire n'est pas la justice, la musique militaire n'est pas la musique."
    il en est de même pour la littérature, sauf que la littérature du Bristol n'est pas militaire, encore moins militante, plutôt débilitante.

    comme le dit encore le Matricule des Anges "Soyez un ange. Abonnez vous" . c'est tout de même 44 euros par an, soit un rapport qualité/prix (pour 10 * 50 pages) bien meilleur que les dernières 160 pages amélinotombesques à 16.50 euros

    c'était mon humble soutien angélique et puis vous découvrirez (si ce n'est déjà fait) Claude Louis-Combet. c'est tout de même un auteur qui a marqué les belles heures de José Corti (ce qui vaut largement la presse de l'époque de JJSS.

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  3. Le pavé dans la mare ? Mais décalons-nous un peu, à droite, à gauche (au choix). Et vérifions les oubliés chroniques (auteurs ou éditeurs) du Matricule des – : Handschin ? Le Golvan ? Brodsky ? Les doigts dans la prose ? (Au choix.) Les marges qu'on se choisit signalent aussi les centres auxquels on aspire. Essayez la brique réfractaire.

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  4. On causera bientôt ici de Brodsky…

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