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S’il fallait, ici – dans ces Amours
suivants qu'effeuille magnifiquement Stéphane Bouquet –, guetter l’ombre de
Ronsard, ce serait pour en relever le passage effrité dans la forme sonnet qu’adopte la
première partie du recueil – précisément intitulée Les
Amours –, dans cette friction avec
« la vitesse de mourir contre quoi je récite follement un autre
rose ce matin mignon »,
friction sensible dans ces quatorze "sonnets" bousculés de quatorze vers libres comme des enfants
perdus, auxquels l’auteur ajoute, entre parenthèses, un quinzième sonnet, un peu comme
la main outrepasse le trait quand les couleurs réclament davantage tout en sachant
enfreindre,
et s’il fallait, également, y sentir la scansion prétendument virile
d’un Pindare célébrant, dans ses épinicies, les corps victorieux des athlètes,
on la pourrait entendre dans le roulement d’épaule syllabique d’un nom de
champion de ski ou d'un nageur olympique – car si odes en ces pages il y a, ce sont odes dédiées aux
garçons sauvages, rêvés ou caressés, convoqués ou pénétrés – et si épinicie on devine, c'est autant la victoire qui est ici chantée que la perte.
Dans « Solitude Semaine 1 », le désir déjoue le calendrier de la Genèse et se
risque, dans l’imperfectibilité des jours, aux
« […] déséquilibres déchirants de l’offre & de la
demande »
puisque la langue, à l’instar des corps convoités, connaît le secret
des métamorphoses, et peut changer l’amant crasseux en divinité solaire. Mais
ce sont là illusions, même savourées, et c’est dans « Lumière de la
fugue » que Bouquet allonge la foulée et, au prix d’enjambements
poignants, se lance dans un récit bien évidemment fissuré, récit de conquête et
de perte au fil d’un octobre amoureux que traverse Nurettin le bien
nommé, sa "Laure" ou sa "Béa" modernes :
« il faut changer ta vie. Mais tu penses plutôt que Nurettin
est
l’abri de tous
les murmures et de tous les chantonnements. Ceci est un
matin :
époustouflant
par définition. C’est le 31 octobre et il refait un quasi
printemps
sauf que les feuilles ont déjà franchi le sans desséché de la
fin. »
Bouquet a le secret, rimbaldien, rongé, des formules indifférentes aux
écrins, et la base classique, au sens chimique, à partir de laquelle se forment
les précipités de son écriture, lui permet de parler de la « mort
éparpilleuse », d’évoquer le « glamour poudré des perruques »,
d’antéposer l’adjectif pour le rendre plus tactile (« la dégoulinante
pluie »). Qu’il s’enfonce en scooter dans les arcanes de Taipei, devise
avec le fantôme du poète Paul Blackburn (qu’il a traduit chez Corti) ou fasse l’inventaire
de la bibliothèque de l’aimé (où, sublime cruauté, se cachent des vers d’Ibn
Arabi), Bouquet tient son vers comme
une phrase qu’il convient de plier ou de rompre selon le degré d’amertume ou de
joie auquel consent la mémoire :
« […] il porte des cartons de fleurs du camion à la boutique, il
dresse en fumant les tables de la terrasse, il tient le miroir pour la cliente
décider si ses lunettes lui vont aussi à la lumière du jour, lui trouve que oui
étant sûrement payé au pourcentage, il fonce à vélo
vers forcément quelque part, un
casque protégeant si jamais
le sacré cœur de son crâne, bien sûr que
des mains bientôt se serviront de lui »
Et le recueil de s’achever en sonnets esquintés, incomplets, comme si
les yeux de celui qui écrit, Orphée serein jusque dans l’abandon, préféraient
se fermer plutôt que de laisser le regret se retourner. Voilà pourquoi
Les Amours suivants, qu’on a lu peu de
temps après
Nos Amériques (2010), sont, littéralement, de gais tombeaux, ou comme ces
hécatombes murmurées par d’Aubigné – mais ici: attention ::: c’est
l’amant ::: l’architecte :
« […] et aussi un jeune architecte barbu et très
beau,
un genre de pâtre
superfétatoire et j’ai pensé : je pourrais lui confier la
construction
de
mon tombeau
+ tard quand : dans telle allée de l’espèce quelqu’un est mort,
ce
n’est pas très
important mais ce n’est non plus négligeable. […]. »
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Stéphane Bouquet, Les Amours
suivants, éd Champ Vallon, 12€