Un roman de Jay Cantor, Krazy, traduit par mes soins, vient de sortir en Lot49 (éd. cherche-midi), avec une couverture nickel en boîte signée Rémi Pépin. Parce que Mickey, hein, bon… De quel félin s'agit-il ici? Comment? Vous ne connaissez pas Krazy (c'est un chat femelle) et Ignatz (c'est une souris mâle). Ces héros du célèbre comic-strip créé par George Herriman ont fait sourire les Américains de 1913 à 1944. Le romancier Jay Cantor a imaginé la suite de leurs aventures dans un monde en plein bouleversement. Déprimée par l'ère atomique, la fragile Krazy a renoncé au vaudeville, à la joie, à l'aventure. Pour lui redonner goût à la vie, son comparse Ignatz va essayer sur elle tous les grands remèdes du XXe siècle: le cinéma hollywoodien, la contestation marxiste, le freudisme à la sauce yankee et même la sexualité sadomasochiste... Jay Cantor entraîne ses personnages, ainsi que le lecteur, dans un maelström effréné et satirique, éprouvant avec irrévérence le couple absurde que forment l'énamourée Krazy et le vicieux Ignatz.
À travers cette relecture iconoclaste, Jay Cantor prouve que les héros ont la vie dure et que la culture pop est une matière précieuse pour les romanciers. Il passe à la moulinette de sa plume explosive les mythes de l'Amérique moderne en réussissant le tour de force ultime : rendre drôles et émouvants des personnages d'encre et de papier qui découvrent, à leur corps défendant, que quelque part, dans un monde autre qu'imaginaire, existe une dimension intrigante : la dimension humaine.
[A signaler: vient de paraître aux éditions Les Rêveurs, le volume 1 de l'intégrale Krazy Kat, celle de George Herriman — les strips parus entre 1924 et 1929, en noir et blanc –, dans une nouvelle traduction signée Marc Voline.]
Extrait:
« Caresse ta queue,
ordonna Krazy.
– Merci », dit Ignatz d’une
voix faible, en s’agenouillant devant elle sur le parquet.
Krazy savait qu’il aimait se
caresser, ou tenir sa queue doucement par en dessous, comme un bijoutier – ou
un boucher – présentant une belle pièce, et il obtempéra avec l’agréable
innocence d’un petit garçon, et non la fierté virile d’un adolescent, comme
s’il était ravi et surpris d’en posséder une. Non que sa queue comptât autant
pour Krazy ; elle aimait Ignatz d’un amour unique et indivisible. Mais il
se comportait parfois comme si Mr Queue était une glace à un parfum spécial
(fraise ?), dotée d’une préférence présidentielle, pressée de faire
sécession. Mais il était fort possible qu’elle soit en fait très éprise de sa
queue, laquelle était beaucoup plus longue et grosse qu’on ne s’y serait
attendu. (Pourquoi ? À cause de la petite taille d’Ignatz, ou de son
métier ? On aurait pu croire que c’était son premier homme, qu’elle
n’avait aucune expérience dans les choses de la nature. Mais l’amour était une
chanson stupide et l’eau de rose sa boisson préférée.) Elle lui demanderait
même peut-être de mesurer sa queue tout en la regardant. Ça lui plairait. Il
serait fier et humilié à la fois !
« Merci, dit-il de nouveau.
– Quoi ? » dit Krazy
en affichant une moue faussement fâchée.
Son agacement hautain était comme le
catch ou la rumeur – on avait envie d’y croire.
« Merci maîtresse, dit-il en
fixant le plancher. Laisse-moi te faire don de ma personne. »
Bientôt fini de le lire... un vrai plaisir !
RépondreSupprimerKrazy? Renoncer au vaudeville, à la joie, à l'aventure? Je n'y crois pas. Ce n'est pas possible, il doit y avoir un twist. Il faut que je vérifie ça.
RépondreSupprimerau début, on ne sait pas trop où l'on rentre, mais après le second chapitre, cela devient un véritable régal.
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