Ça commence à se savoir: Beigbeder, l'immortel auteur de L'égoïste romantique, désespère de Chevillard. Il l'avait dit précédemment dans un article intitulé "Démolir Nisard" (avec un "l" ou "ll" selon l'humeur des protes…), il a remis ça hier, dans le même journal, avec un élégant "Halte au chou-fleur", article censé être une critique du dernier livre paru d'Eric Chevillard, L'auteur et moi. Hélas, de critique, le lecteur n'en trouvera point dans les 2431 signes écrits par l'immortel auteur de 14,99 euros, euh, pardon, de 99 francs. Il trouvera en revanche 1 112 signes où Beigbeder, l'immortel auteur de Au secours pardon (atchoum!) évoque son précédent article (il faut dire que Chevillard y fait allusion dans son nouveau livre), 808 signes dans lesquels est résumée l'intrigue du livre, accompagnée d'un ersatz étique de littérature comparée (histoire de citer Sagan et Coetzee…) et d'une proposition de titres alternatifs. Restent 511 signes pour conclure, ce dont ne se prive pas l'immortel auteur de L'amour dure trois ans (autrement dit 1 095 jours – décidément, Frédéric aime mettre des chiffres dans ses titres, à moins que ça ne soit le contraire). Voici donc ces 511 signes (oui, nous aussi nous savons parler chiffres, non mais!):
Chevillard épuise son grand talent à relever les défis qu'il se lance à lui-même. C'est dommage car il est bien meilleur quand il se dévoile, par exemple quand il évoque la mort de son père avec une émotion contenue, ou quand il déplore l'état de ses ventes dans son blog "L'Autofictif". L'explication de son insuccès est pourtant simple: le public n'a plus goût pour les expériences. Il rit en lisant ses articles, mais ne finit pas ses romans. Et c'est ainsi qu'Eric Chevillard est un grand écrivain gâché.
Bon, Chevillard a déjà répondu dans son blog à cette histoire édifiante de gâchis en qualifiant Beigbeder de "médiocre écrivain triomphant", et l'on s'en voudrait de revenir à la charge, de rajouter une louchée de chou-fleur sur la frémissante et fragile truite, mais enfin, le propos de l'immortel auteur de Vacances dans le coma (mais pourquoi les a-t-il abrégées, grands dieux!) est assez époustouflant. Pas seulement parce qu'il pense que le "dévoilement" et "l'émotion contenue" l'emporteront toujours en qualité sur les "défis" littéraires – on avait bien compris, à lire Beigbeder, qu'une giclée de biographoutre pèserait toujours plus lourd qu'un kilo d'expérimentade. Non, s'il est époustouflant (d'arrogance ou de cuistrerie, on ne sait) c'est surtout en raison de cette déclaration, qui sans doute provient d'une longue étude du lectorat français assaisonné d'une fière conviction personnelle: "Le public n'a plus goût pour les expériences." A première vue, ça ressemble à un sophisme. Les expériences intéressent forcément moins de monde, or le public c'est tout le monde, ergo le public se fout pas mal des expériences. Là, on a envie de dire: Frédéric, tu sais quoi? Chevillard n'écrit pas pour "le public". D'abord parce que je suppose qu'il considère ceux qui le lisent comme des "lecteurs", et non comme ces spectateurs de show télévisé auxquels semble faire allusion cet étrange mot de "public", s'agissant de littérature. Ensuite parce que ce sont ses livres qui créent des lecteurs. Mais bon, n'embêtons pas l'immortel auteur d'Un roman français (en anglais, c'est encore plus beau: A french novel) avec ces vaines arguties.
Non, laissons-le à ses activités journalistiques – au moins, pendant qu'il pond des articles, il n'écrit pas de livres (quoique…). Ce qui est en fait intéressant, dans sa phrase stupidissime, c'est ce "plus". "Le public n'a plus goût pour les expériences". Intéressant. Donc, à une époque antérieure, le public avait encore "goût" à ces billevesées? Que s'est-il passé? S'en est-il dégoûté tout seul? L'en a-t-on dégoûté? Qui l'en a dégoûté? Y reprendra-t-il goût? On ne sait pas. On sait seulement que, par exemple, La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski (qu'a apprécié Beigbeder, par ailleurs, mais Beigbeder n'est pas le public, on l'espère), un livre qui côté "expérience" se pose un peu là, s'est vendu à plus de vingt mille exemplaires en France. Ce désintérêt doit donc être assez récent. Le perte du goût est quand même un phénomène assez grave pour qu'on s'en préoccupe. On attend toujours la parution de la thèse de Beigbdeder, Considérations littéraires et philosophiques sur la désaffectation de l'expérience par le public, assortis d'exemples tirés de Bécassine se regarde dans un miroir.
Mais il y a mieux (ou pire). Car l'immortel auteur de Windows on the World (en anglais c'est encore plus beau: Windows on the World) utilise le mot "expériences", et non celui d'"expérimentation" ou même de"fiction expérimentale". Comme si le seuil de tolérance à l'égard de ce qui, qu'on le veuille ou non, définit l'essence même de la fiction, de l'écriture – renouveler ou inventer des formes, donc expérimenter – avait baissé d'un cran, et que le mot "expérimental" n'était même plus prononçable, à tel point que celui d'"expériences" suffit à lui seul à désigner ce truc dégoûtant qu'il n'est pas besoin d'expliquer pour savoir de quoi on parle.
Bref, on en serait presque à s'offusquer des propos de Beigbeder, quand soudain, bon sang mais c'est bien sûr, on se rappelle ! Oui, on se rappelle qu'il a fondé le Prix de Flore en 1994, en préside le jury, a également créé le Prix Sade, a siégé dans le jury du Prix Décembre, est membre du jury du Prix Renaudot, ainsi que du jury du prix Françoise-Sagan et du jury du prix Saint-Germain ! Pourquoi n'y a-t-on pas pensé plus tôt! Le prix, pas l'expérience! Le coût contre le goût! Mais ça saute aux yeux! C'est clair comme de l'eau de roche! Un bon coût vaut mieux qu'un goût rare ! Décidément, nous montons trop vite sur nos grands chevaux. Nous nous emballons trop vite, ça doit être la proximité de Noël. Il nous suffisait de lire la notice biographique de Beigbder sur Wikipedia… Mais non. Nous gambergeons, nous nous inquiétons, nous nous formalisons – au lieu d'additionner deux et deux font au moins cinq avec l'inflation je te rendrai la monnaie plus tard. Ah, si au moins nous savions lire autre chose que des livres…
bah... non, Beigbeder, sérieusement ... Ces gens-là ne sont pas comme nous. En 1931 la France proposait une grande exposition coloniale (on doit trouver des photos sur internet) durant laquelle on a exposé des autochtones (déracinés, du coup) dans des grandes cages tropicales. Le tout venant venait (oui, je sais) regarder les grandes figures brunes, aux yeux plissés, les corps ceinturés de peaux ou de lianes. N'endurons pas vainement nos Beigbeder, faisons leur des promesses, à notre tour ! Bien amicalement.
RépondreSupprimerBon, c'est sûr, on a envie de réagir à la lecture de det article de F.B.(que je n'ai pas lu, d'ailleurs, ni là ni jamais, ni çà ni le reste !) Mais bon... Il me semble qu'il en a toujours été ainsi, non ?... Et puis au bout du compte, qui retient-on de la Littérature ? (Comme dans tous les arts !), ceux qui la bouleverse, la remue, la travaille, la dérange,... (Et je pense à Samuel Beckett, Claude Simon, Georges Perec, Pascal Quignard, Olivier Cadiot, ... et d'autres, comme Eric Chevillard.)
RépondreSupprimerAlors laissons dormir en paix ces écrivaillons à succès public/populaire (voyons ou mène le "populaire"...)comme Beigbeger, Musso, Levy, ... Dans quelques années, ils n'auront même pas existés.
A part ça, merci pour votre blog!
Se pourrait-il que Begbeider soit un personnage de Chevillard, qui se serait échappé d'un de ses brouillons imprudemment laissé sans surveillance? Ça pourrait expliquer certaines choses: après tout, Madame Bovary et Monsieur Homais ont eu toutes les raisons du monde, certains jours, de désespérer de Flaubert, en qui ils avaient pourtant placé, au début, de si grands espoirs.
RépondreSupprimerBah, chez Begbeider, y'a que le capot qui ne soit pas défoncé
RépondreSupprimerAu prix d'une médiocre euphonie qui tombe dans la facilité, demandons-nous si Beigbeder n'a pas gardé les talents qui lui ont permis de si brillamment réussir dans sa carrière passée de publicitaire, et tâchons de prononcer le mot buzz à la française.
RépondreSupprimerA la (grande) différence de Chevillard, quand je le lis je finis toujours par me demander ce qu'il cherche à me vendre, de quelle malfaçon irréparable affectant un confrère il m'entretient, pourquoi l'écrivaillon qu'il encense n'est pas dangereux pour lui - à l'exception des morts et des écrits anonymes, et je passe mon chemin.
C'est un bonheur de lire une critique aussi vive sur les pantins de notre époque comme Beigbeder, avides de fric, de pouvoir et de reconnaissance. Eh oui, ces gens là se prétendent écrivain et sont jury de nombreux prix. Syndrome de notre époque qui consacre des faussaires.
RépondreSupprimerA la grâce des mouvements en désir.
RépondreSupprimer"...ce sont ses livres qui créent des lecteurs"
RépondreSupprimerPrendre appui sur Beigbeder pour ecrire des belles choses comme ca, pourquoi pas. Il est surtout un de ces Grands Fatigants qui doivent malheureusement en desesperer beaucoup de se lancer dans la litterature. Je me rappelle plus jeune l'avoir vu a la tele dans une de ses emissions, il critiquait des livres je crois et tout le monde etait nu dans un fauteuil, c'etait affreux. Je m'etais dit, Bah putain, s'il faut se taper des trucs comme ca pour vendre ce qu'on ecrit et se faire un nom... C'est les gens les plus vulgaires qui sont aussi les plus bruyants les plus riches et les plus presents dans les medias et les chaumieres, et c'est un truc que j'ai encore beaucoup de mal a accepter au quotidien.
House of leaves... Rien que de voir le titre ici me ravit.
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