On aurait bien aimé vous parler du premier et dernier roman paru d'Aurélien Bellanger, mais on a calé assez tôt dans sa lecture, très tôt même, et très précisément en tombant sur cette phrase:
"Frédéric Ertanger n'était pas le fils du patron, mais ses origines familiales localement prestigieuses et son visage régulier le distinguaient des autres employés."
On s'était dit alors que ledit Ertanger (anagramme hyper futé de "étranger", dans lequel résonne le nom de l'auteur, Bellanger, à moins qu'il ne s'agisse du verbe étrangler rogné d'un "l", ou tout simplement d'une erreur informatique alors qu'il voulait écrire "argenter"…), que ledit personnage, donc, avait bien de la chance: être le seul à avoir un "visage régulier" dans une entreprise, ce n'est pas rien! Et puis on avait oublié cette pénible et longue dictée, ayant senti qu'on y perdrait pas mal d'illusions quant à la splendeur de l'écriture, et on était passé à autre chose, à tout autre chose, par exemple lire et relire Claude Simon. Mais voilà qu'un entretien donné par Bellanger au journal Politis a relancé notre désintérêt pour ce littérateur français contemporain réaliste. On aimerait se contenter de citer les propos d'Aulérien, pardon, Aurélien:
« Beckett, s’il n’avait pas été photogénique, il n’en resterait pas grand-chose."
Décidément, cette histoire de visage régulier semble poser problème à notre jeune auteur. Beckett a-t-un visage régulier qui le distingue? On ne sait trop. En tout cas, ce visage le sauve, car son œuvre n'aurait pas suffi. L'Académie suédoise qui lui a attribué le prix Nobel a sûrement voulu donner un coup de pouce à cet écrivain assez mal parti. La remarque de Bellanger est frappante. Mais que frappe-t-elle, sinon le crâne creux de celui qui l'a pondu? Attendez, il y a mieux:
"Claude Simon, je ne comprends pas comment, encore aujourd’hui, on peut s’infliger ça."
Zut, encore un Nobel qui en prend pour son grade. "S'infliger" ? Ce verbe-là doit être l'ennemi mortel de "simplifier"… Il faut dire, et préciser, que Bellanger a une bête noire: l'innovation:
Combien de fois ai-je entendu dire d’un livre : c’est bien, mais ce n’est pas très novateur dans la forme. Ah bon, car la littérature a un devoir de progrès ?
Comment expliquer à ce monsieur qu'innovation et progrès sont deux choses différentes, et qu'en matière de littérature, on ne cherche pas à darwiner, mais à "échouer mieux"? Cela paraît impossible, d'ailleurs, au vu de sa conception de l'écriture:
C’était délicieux de cesser de me demander si j’avais un style, pour découvrir que j’avais simplement des choses à raconter, et que j’avais certaines facultés à les raconter de façon intéressante. J’ai essayé d’être élégant, de privilégier les structures grammaticales classiques et compréhensibles.
Après les propos élevés de Joel Dicker – que nous rapportions il y a peu sur ce blog –, voilà une nouvelle assertion qui vaut son pesant de cacahuètes. La littérature: raconter des choses de façon intéressante. But with élégance. Hum. Certaines facultés? On aurait préféré des facultés certaines. Mais peut-être qu'ici "faculté" est à entendre au sens de "aliment obtenu à partir de lait coagulé ou de produits laitiers, comme la crème, puis d'un égouttage suivi ou non de fermentation et éventuellement d'affinage"? Ah non, pardon, ça c'est le fromage. Toutes mes excuses. Quoi qu'il en soit, l'ambition bellangeresque a le mérite au moins de placer la barre assez bas, voire de faire de la barre un bâton avec lequel cingler la croupe de l'âne sur lequel on peste parce que la pauvre bête refuse d'avancer, se sachant plus finaude que son cavalier. Bon, je vous laisse, car je dois m'en aller raconter des choses intéressantes à mon parapluie qui, je l'espère, une fois son entrevue achevée avec ma machine à coudre, fera tout son possible pour abolir les odieux privilèges dont ne se sont que trop targuées les structures grammaticales classiques et compréhensibles turlututu chapeau pointu.
"Beckett, s’il n’avait pas été photogénique, il n’en resterait pas grand-chose"...
RépondreSupprimerAhahah ! Comme quoi on peut publier chez Gallimard et avoir des opinions de collégien...
Tends ton bon profil Aurélien, avec cette phrase tu accèdes à la postérité des cours de récréation...
Ces oreilles d'âne sont bien trop douces (au propre comme au figuré !), bien trop belles (quoi que pas suffisamment régulières, peut-être ?) pour se voir attribuées à ce ce tâcheron là, mieux vaut lui décerner le célèbre coup de pied du même animal... voilà qui est très joliment fait !
RépondreSupprimerZoologiquement vôtre...
Monsieur
RépondreSupprimerCes quelques mots ont peu de rapport avec le texte précédent, mais je tenais juste à vous dire que ça faisait longtemps que je n avais pas lu un livre aussi enivrant que Tous les diamants du ciel! J'en reste ébaubi et cette lecture continue en moi sans que je ne sache bien comment. Votre écriture me donne l'impression d'avoir soudain sur le nez de nouvelles lunettes, alors que je n'en porte pas. Un simple merci
Olivier Waibel
À l'âne régulier, bln… (tentative d'anagramme)
RépondreSupprimerLe climat à Pau ne vous a pas plu,on vous sent de mauvais poil et j'ai cru remarquer que vous passiez vos humeurs orageuses sur des auteurs faciles à critiquer. Critique! D'un autre coté il n'a pas tout à fait tort,Samuel Beckett s'il en avait découvert la recette aurait réduit encore plus ses visions du réel pour ce qu'il vaut,l'épuration .Un Brancusi .
RépondreSupprimerbah oui, mais on va pas se mettre du caca dans les yeux et essayer d'aimer la bêtise au prétexte qu'elle est humaine, et que ce charmant plumitif a besoin de vendre des livres pour s'acheter des pâtes ... enfin, la charité a des limites, on n'est pas tous gens d'église. quant à Beckett, je crois qu'il est tellement difficile de parler après l'avoir lu, que bah, rien.
SupprimerPeut-être qu'avec une formation scientifique trop légère on passe à côté du livre de Bellanger. C'est étonnant ce temps passé à décortiquer un entretien d'un auteur qu'on tient pour plus que médiocre.
RépondreSupprimerOlivier Bleuez.
@ Claro :
RépondreSupprimerExcellente dissection... : le jeune bellâtre en a pris pour son grade, mais "général", c'est encore trop pour lui, même si l'on voit bien l'allusion historique. Disons tout au plus : adjudant, ou adjuvant (pas la musique) !