Voici un auteur dont on devrait lire chaque année un
livre qui fonctionne à une étrange méthode que celle ici en vigueur, force et
redondance, ou contre-danse puisque le complément d’objet y est
systématiquement ou presque transformé en sujet de la phrase suivante, à moins
qu’une homophonie permette elle aussi un pont entre deux énoncés de cette façon
le propos peut paraître abscons ne s’y méprenne pas, P.N.A. Handschin sait où
il va, ce qu’il construit et détruit, à savoir la fiction du je suis un autre
et pas qu’un seul instant d’inattention et voilà déjà plusieurs morts et
plusieurs naissances et contre-sens, tout ici fait sens s’en rendre compte le
lecteur dérive d’incidents en accidents tous les cas la synthèse disjonctive
fait force de loi et impose à l’instable syntaxe sa proliférante imagination.
Mais trêve de mimétisme. Abrégé de l’histoire de ma
vie est le sixième volet d’un cycle – le terme est ici parfait – intitulé
« Tout l’univers ». Projet ambitieux et drolatique, où le
biographique est virus, où les lieux du monde sont visités à bride abattue, au
gré d’une inspiration musicale qui, mise en bouche et récitée, défie le souffle
et l’esprit. D’aucuns pourraient trouver cette entreprise, sans précédence ni
descendance, vaine, au sens où elle peut sembler autodétruire – non sans malice
– sa propre vitalité par un éternel retour du dissemblable. Mais s’il y a
vanité, c’est celle que l’infernale machine narrative de Handschin malaxe et
piétine staccato, celle du rebondissement, de la généalogie, de l’accident, du
revirement, etc, ici poussée à des paroxysmes hilarants.
Mais Handschin c’est avant tout une incomparable
leçon de lecture, généreuse, technique, bouffonne, avec parfois des accents gloomy, une façon de forcer la langue à
se phagocyter pour mieux s’éterniser, au mépris de la mémoire du lecteur qui,
tel un alpiniste roulé par une avalanche, n’a pas le temps de comprendre qu’il
était devenu scaphandrier puis spéléologue et enfin terrassier de lui-même.
Il y a, enfin, du Rimbaud dans Handschin. Son
narrateur, au je moléculaire et mutable, ne sort de ses saisons en enfer que
pour mieux multiplier les illuminations du temps et de l’espace. C’est
peut-être, paradoxalement, l’unique roman réaliste existant : celui d’un
moi qui n’existe que dans la déflagration imaginaire (et la mise en plis ((coupons
les cheveux en quatre !)) des mirifiques et désopilants possibles.
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PNA Handschin, Abrégé de l’histoire de ma vie, éd.
Argol (2011)