Le gratin de libraire
Ce plat exige un subtil
mélange de patience et d’inventivité, un peu comme l’amour. Il s’agit
d’alterner des couches d’ouvrages de fond avec de fines lamelles de parutions
récentes, et de lier ces deux strates vouées à se confondre au fil de la
cuisson avec une crème discrète mais passablement épicée.
Le gratin de libraire
se sert en toutes occasions, au quotidien de la curiosité ou lors des
buffets-rencontres. Pour le quotidien, on choisira le libraire du coin, celui
qui sait quel ingrédient convient le mieux à votre appétit, celui qui n’essaie
pas de vous vendre du caviar quand vous avez des envies de topinambour. Lors de
la mise des petits plats dans les grands, le libraire joue un rôle essentiel.
Il doit savoir résister à une forte cuisson en cas d’affluence, ne pas se
décourager lorsque le soufflé de la rencontre tarde à monter, veiller à ce que
chaque part soit servie avec discernement mais aussi gourmandise.
L’écrivain
doit figurer au menu du gratin non pas tel le superfétatoire brin de persil –
il n’a pas vocation de garniture – mais tel l’élément de base qui, pourtant,
sans le brio du chef qu’est le libraire, toqué ou pas, risquerait de rester à
jamais indigeste. Le gratin du libraire le mettra donc en valeur mais sans que
le convive non plus se sente face à on ne sait quel aliment incompréhensible et
sacré.
Le rire et le sérieux permettront à parts égales de goûter sans retenue
ce plat dont on ne se lasse pas, sauf quand il s’agit de — mais bon, passons.
Servi lors d’une rencontre, soit chaud soit froid, l’auteur comprendra très
vite qu’il n’a pas besoin d’être placé en miniature au sommet d’une pièce montée,
car c’est dans la convivialité de ce gratin simple et copieux qu’il saura
toucher le cœur de tous les palais. En outre, c’est le seul plat où l’on permet
à l’ingrédient invité de rédiger et de lire lui-même le menu. Ce gratin est
souvent, sinon toujours, suivi d’une dégustation de petits crus sympathiques,
dégustation elle-même suivie la plupart du temps de mémorables libations. On ne
saurait le déplorer, et d’ailleurs personne ne le déplore.
(extrait de La Cuisine du Motif, rapport d'activité du Motif sous forme littéraro-culinaire, douze recettes au goût du jour bonjour, qu'on peut lire en ligne ici.)
Succulent à souhait!
RépondreSupprimerJ'en ai l'eau à la bouche, du coup.