On lit les textes pour des raisons parfois (souvent?)
adventices. Je ne connaissais pas Martinson, j'ignorais même qu’il avait eu le
prix Nobel de littérature en 74, et ne me doutais pas que ce poète avait été,
sans le vouloir, un cas de post-exotisme par anticipation (j’ai acheté un de ses livres
parce qu’il était sur les rayonnages de l’excellente librairie Charybde, et publié par les passionnantes éditions Agone ((et qu’il me restait
cinq minutes pour ne pas repartir les mains vides – sortir d’une librairie sans
rien acheter est une expérience honteuse que je ne souhaite à personne, et il
est fort probable qu’il existe un démon attendant quelque part qu’on commette
un tel acte pour sévir à sa façon).
Aniara est un ovni littéraire, comme on dit
aujourd’hui quand on veut avertir le lecteur qu’il ne s’agit pas d’un roman
sorti des presses poussives du réel romanesque. Sauf que c’est vraiment,
littéralement, adéquatement, un « ovni », puisque cette fantaisie
épique raconte l’histoire d’un vaisseau spatial voué à une longue errance
galactique. La Terre ? L’homme l’a gâchée. Il a fallu fuir, trouver
d’autres zanzibars où jouer les patauds colons. Mais Aniara, après une fâcheuse
rencontre avec un astéroïde, doit changer de cap, et le voilà perdu dans
l’infini néant. Bien que piloté par une entité aussi douée qu’attachante,
« la mima », il est bel et bien perdu.
Ecrit en quatorze jours (puis bien sûr retravaillé
et prolongé), Aniara est né d’une vision : par une nuit d’août 1953, en
pleine guerre froide (cela a son importance), le poète Martinson observe au
télescope la galaxie d’Andromède et connaît alors une sorte de
« transe ». Il rédige alors cette surprenante odyssée où science et
conscience s’unissent pour mieux décrire les ruines de l’âme en cent trois
chants. Improbable chaînon manquant entre La
Fin de Satan de Victor Hugo et l’œuvre de Volodine, Aniara, à l’instar du vaisseau éponyme dont il narre la dérive,
flotte et crépite dans une brume apocalyptique, portée par une voix languide
qui pourrait être celle du surfer d’argent. Travaillé par des accents tantôt
homérique, tantôt biblique, mais issu d’une recherche poétique influencé par
Carl Sandburg et Walt Whitman, ce poème demeure irréductible à tout courant
littéraire, puisant dans son propre vortex une musique à jamais interlope, même
s’il reste puissamment sous-tendu par le spectre de la mort atomique et le fantasme
pré-lapsarien. Si la Mima, ce super-ordinateur si sensible qu’il en vient à se
saboter, évoque à nos yeux modernes le Hal démiurgique de Kubrick, la lecture
d’Aniara n’en reste pas moins une expérience littérairement
« dépaysante » :
A l’aide d’un programme d’examen logostylistiquephase après phase, des cycles mathématiquesde Mima j’acquis rapidement une telle pratiquedans l’art de tout rendre transparentque trois ans jour pour jour après l’instantoù Mima rendit l’âme dans la halle d’Aniaraje pus sonder les transtomies de la loiqui détermine l’ascension et l’effondrement.
Si Volodine, d’aventure, parcourt ce globe, pardon,
ce blog, j’aimerais bien savoir s’il a eu connaissance de cet étrange astéroïde
qu’est Aniara et s’il a reconnu,
parmi sa population d’errants et de chamanes, quelques visages connus…
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Harry
Martinson, Aniara, une odyssée de
l’espace, poème transposé du suédois par Philippe Bouquet & Bjorn Larsson,
éditions Agone
Ceci est un commentaire pour le billet d'en-dessous, Mobil Butor. En parlant de laboratoire d'écriture, j'ai pensé à ce texte en ligne, Waiting for Paddy's Return, qui n'est pas celui d'un écrivain de renom, et n'égale pas bien sûr Michel Butor, loin de là, mais qui mérite je pense le coup d'oeil, et dont voici le lien:
RépondreSupprimerhttp://paddysreturn.blogspot.com/
Ce message a été posté par l'auteur de ce roman-blog. Qui vient de s'enfoncer un énorme clou dans la main droite.
Amicalement à tous les cannibales. A toi aussi Stéphane Legrand.