"Il ne savait jouer d’aucun instrument. Mais il acheta un piano. Ne
prit jamais de leçon. Refusait d’aller au conservatoire. Ne se rendit pas aux
concerts. Jouissait de sa seule vue. Attendit des mois avant de soulever le
couvercle noir. Tapait sur les touches pendant des heures. Se prit pour un
prodige en riant. Y passait des heures, inlassable. Tenta d’improviser un
morceau continu. Chantait. Le prit pour confident. L’insultait : piano
pourri, piano chéri. S’y liquéfia les phalanges. Lui léchait les touches. Fis
des gammes sataniques. S’ennuyait souvent parfois. Fit exprès de. Faisait
semblant de. Osa se branler sur. Laissait l’amie de sa mère lui apprendre autre
chose que la Sonate au Clair de Lune. Renonça. S’y mettait à deux heures du
matin avec ferveur. Découvrit Glenn Gould. Fut vendeur de pizza pendant trois
mois. Le réclamait dans son sommeil. Prit des drogues. Composa une sonate mais à quoi bon. Se
prit les doigts de la main droite dans la portière d’un taxi. Rêvait de moins
en moins : piano chéri, piano pourri. Enterra ses parents à deux semaines
de distance. En jouait désormais jour et nuit, pour ainsi dire. Sut qu’il ne
saurait jamais, ni en jouer ni ne pas en jouer. Prenait de plus en plus de
médicaments. Joua jusqu’à l’extinction. Recommençait. Arracha les touches les
unes après les autres. Se couchait sur les cordes, capot ouvert. Y fit ses
nuits. Entendait tout. N’y comprit rien. Pleurait. — Chut."
(extrait de Combien de fois, à paraître)
Oh la la ! MAGNIFIQUE ! (de vous-même ?)...
RépondreSupprimerJ'ai cru entendre pourtant des sonorités, clavier au poing, d'auteur Sano et Claro, assez nouvelles et pourtant inscrites dans la tradition pour que je lise à l'oreille votre extrait.
RépondreSupprimerC'est assez joli. Il est tard. Et je vous félicite.
J'aime beaucoup que le narrateur pianote entre imparfait et passé-simple ; ça fait un effet que j'ai peine à décrire.
RépondreSupprimerJe dis à bientôt au personnage.
D.