vendredi 20 mars 2015

Dans le cul le soleil

Nous sommes vendredi, et comme je crois savoir qu'une éclipse entièrement naturelle se prépare dans le ciel, il est de mon devoir de vous avertir: regarder une éclipse est certes dangereux, car cela peut provoquer à plus ou moins long terme une cécité assez gênante, mais ce n'est rien en comparaison de ce qui vous arrivera si vous lisez intégralement le prochain roman de Mark Leyner, Divin scrotum, à paraître dans quelques semaines au cherche midi dans la collection Lot 49.

Voici donc un extrait, que vous pourrez lire en avant-première galactique (et en traduction), mais bon, sachez que c'est à vos risques ainsi qu'à vos périls – sachez également et aussi que je décline toute responsabilité en cas de cécité brutale (ou surdité soudaine) occasionnée par l'ingestion massive de doses Leyner:

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"Tout ce que nous sommes et savons vient des Dieux. De leurs rêves les plus fantasmagoriques et de leurs hallucinations les plus horribles, nous dérivons nos mathématiques et notre physique. Même leurs maniérismes les plus désinvoltes et leurs gestes les plus nonchalants et les plus indolents ont pu déterminer les structures physiques et temporelles fondamentales de notre monde. Ils fêtèrent un jour l’anniversaire du Dieu de l’Argent, Doc Hickory, connu également sous le nom de El Mas Gordo (« Le plus gros »). Épuisé par les réjouissances, El Mas Gordo s’endormit à plat ventre en travers de son lit. Lady Ruskia (la Déesse du Scrabble, des Bonbons en gelée et des Courses de trot), qui avait couru après El Mas Gordo toute la soirée, se glissa furtivement dans son lit, frotta un ballon crissant sur son pull en cachemire qui lui moulait les seins puis le fit aller et venir sur le dos poilu du dormeur. La façon dont l’électricité statique reconfigura les poils sur son dos constituerait le modèle pour la dérive des masses continentales sur terre. Un autre grand exemple serait, bien sûr, le Dieu Rikidozen, également connu sous le nom de Santa Malandro (« Brigand Sacré »). Rikidozen tapotait un jour d’un air absent un stylo de marque Sharpie sur le rebord de sa tasse de café, et la cadence immuable de ce tap-tap-tap deviendrait la base des cent vingt-quatre pulsations par minute de la house music. Les Dieux furent les bricoleurs originels (et ultimes). Ils ont créé presque tout à partir de leurs propres corps. Leurs gaz intestinaux – leur flatus – ont donné l’oxyde d’azote, dont nous nous servons aujourd’hui comme anesthésique dentaire et dans nos bombes de crème fouettée (nos « siphons »). À partir des sécrétions blanc-argent qui se cristallisent dans le coin de leurs yeux, nous obtenons le lithium, dont nous nous servons pour faire des piles rechargeables pour nos téléphones et nos ordinateurs portables. Un jour, le Dieu Koji Mizokami se fit retirer un petit tératome – une tumeur avec des poils et des dents – sur un de ses testicules. Il le rapporta chez lui et en fit le compositeur Béla Bartók. Il sortit dehors afin de le lancer dans le futur. Mais il ne savait pas trop dans quel utérus (ni à quelle époque et dans quel milieu) il voulait abandonner le génie musical. Il se trouve que plusieurs Dieux passaient par là à ce moment. C’étaient ceux connus sous les noms de Les Pince-Nez, Les 44 ou Los Vatos Locos (« Les Cinglés »). Ils faisaient fréquemment des suggestions dénuées de toute pertinence, mais ces suggestions étaient parfois des idées tout à fait correctes. « Pourquoi ne le ferais-tu pas naître dans une famille de mormons racistes ? » proposa l’un d’eux. Mizokami contempla le Bartók larvaire qui gigotait dans la paume de sa main. « Je ne sais pas trop », dit-il de sa voix traînante et languide. Puis quelqu’un d’autre dit : « Ce serait peut-être plus drôle s’il était le fils de Joel Madden et de Nicole Richie ? Ou de faire de lui un bébé taliban. » (Finalement, bien sûr, Mizokami-san décida d’expédier Béla Bartók dans le ventre d’une femme vivant à Nagyszentmiklós, en Autriche-Hongrie, dans les années 1880.)"
(traduction Claro)

2 commentaires:

  1. D'un autre côté la couverture ne souffre pas la comparaison avec l'exemplaire 2 du frais magazine Society.

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  2. J'avais adoré "Exécution", je sens que celui-ci va bien balancer aussi !

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