Un jour, « dans le tohu-bohu
d’une foire du livre en Allemagne, un après-midi d’octobre, 2012 », un
éditeur dublinois confie à Pierre Demarty – écrivain éditeur chez Grasset et traducteur
de l’anglais–, un texte discret, presque confidentiel, paru en 1976, écrit par un
auteur âgé à l'époque de vingt-six ans et dont on ne sait quasiment rien, un certain
Desmond Hogan, plus secret encore que Salinger, et que certains ont surnommé
« l’homme qui avait disparu ».
Ebloui par la découverte de son œuvre, Pierre Demarty décide de publier
l’intégralité de cette œuvre éconduite injustement par la postérité : cinq
romans, un récit de voyage, quelques nouvelles. Le premier texte que vous pourrez lire s’intitule Le
garçon aux icônes, et il fait l’effet de braises palpitant sans relâche sous la cendre.
C’est l’histoire d’une mère et de
son fils, un fils étrange, retiré en lui-même, rongé par des secrets, un fils
qui un jour quitte leur Irlande natale, puis revient, puis part à nouveau et cette fois-ci ne donne plus de
nouvelles. La mère est encore jeune, elle a la cinquantaine, elle est veuve, et son
fils – Diarmaid – est son bien le plus précieux. Elle partira donc en
Angleterre, à sa recherche, quittant pour la première fois ou presque une
Irlande secouée par les attentats, enlisée dans le temps. A partir de ce
fragile canevas, Desmond Hogan tisse un chant salvateur, où chaque
seconde, chaque mot est susceptible de libérer des diamants d’émotions, de visions,
de souvenirs.
Diarmaid a été à jamais marqué par le suicide d’un ami, il
confectionne d’étranges icônes avec des bouts de rien, pleure souvent, à la
fois proche de sa mère et coupé de toute possibilité d’amour – attiré par
Londres, ce mauvais garçon qui sifflote mains dans les poches, peu
sûr de lui mais certain de son altérité, part un jour, tel un Rimbaud
fugueur, sans œuvre ni espoir, laissant sa mère – Susan – seule face à un
destin de madone, entre la confection de robes et la désolation d’un pub. Mais
Susan a besoin de la force vitale de son fil, même absent, pour retrouver
l’élan de sa jeunesse perdue. S’il faut errer, elle errera. S’il faut
s’approcher des fêlures, elle s’en approchera. Elle est animée et troublée par le goût sauvage de renaître, magnétisée par ce fils qui ne saurait être opaque à son cœur.
L’écriture de Desmond Hogan est une pure
merveille de pudeur et d'audace, de distance et d’empathie, et l'auteur s’empare du personnage de Susan
avec une précision toute flaubertienne, qui fait que son récit rappelle bien souvent les Trois contes,
progressant par touches légères, tout en approches musicales. Les choses tues et cachées, les
émotions en lisière, les tremblements du cœur, la chair en réveil, tout
affleure et rougoie dans ces pages où l’essentiel infuse le quotidien, dans des
phrases déposées comme des offrandes :
« Une présence dans la nuit. Pourtant les nuits de Galway Est étaient désolées. Pleines de vaches vêlant, de fermiers flatulant, de vieilles femmes occupées à mourir ici ou là d’un cancer ou d’une solitude contractée jadis à la foire. Oui, c’était une contrée toute de trahisons. Les morts semblaient s’attarder. Quelque chose d’inavoué dans leur vie. En été seulement, quand la pavots vagabondaient le long des murets et qu’une mélodie de Chopin s’échappait de la maison du docteur où une femme, son épouse, se pliait roidement aux lois de l’été. »
L’amour de Susan pour son fils
est une boîte de Pandore, et à peine la mère l’entrouvre-t-elle qu’un monde entier s’en échappe, en mille souffles entêtants, non seulement le monde
intérieur de ses contradiction et de ses se renoncements, mais aussi celui, plus
subversif, plus ravageur, de ses désirs, ses attentes, ses peurs. Les icônes
s’animent, et le temps, lentement, explose – la quête de l’amour indicible
brûle plus sûrement qu’une foi. L’écriture de Hogan, par sa subtile liturgie, confie
au lecteur les secrets d’une sidération qu’on croyait perdue – une écriture que Demarty épouse et cadence à la perfection.
Désormais, chaque année, on
guettera le retour de la comète Hogan, l’homme qui a disparu pour mieux nous
ravir à nous-mêmes.
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Desmond Hogan, Le garçon aux icônes, traduit de
l’anglais (Irlande) et présenté par Pierre Demarty, éd. Grasset, 19€ – parution le 1er avril
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