mercredi 4 mars 2015

Une journée pour les femmes, l'éternité pour les hommes

Puisque la "journée de la femme" approche, cette journée qui précisons-le s'intitule en fait "journée internationale de la femme" selon l'ONU et d'autres organisations (UNESCO, etc.), ou "journée internationale pour les droits de la femme", selon le Ministère des droits de la Femme, puisque donc cette journée est bientôt là – ce sera le 8 mars –, rappelons-nous que ce fut Lénine qui la décréta – les femmes russes envahirent en 1917 la rue pour réclamer du pain et le retour de leurs maris, deux ingrédients rares à l'époque, mais l'un nettement plus nutritif que l'autre –, même si elle fut précédée douze ans plus tôt d'un mouvement américain.

Une journée particulière, donc – et force est de constater qu'à l'instar de la situation décrite par le film aux mille palpitations de Scola, certains préféreraient que la femme, ce jour-là comme tous les autres, reste chez elle, même si certains, souvent les mêmes, n'aimeraient guère que ça soit l'occasion d'y rencontrer l'homosexuel Gabriele. Je ne sais pas trop ce qu'il en était pour Lénine, mais force est de constater, d'avouer et peut-être d'assumer/de convenir que l'homme est incapable de penser la femme, l'ayant depuis toujours (ou presque) non seulement réduite à la fonction d'objet mais ayant fait d'elle l'objet d'une fonction, une fonction servant un but aussi fragile que sanglant : se penser homme, viriliser la pensée, et dans le même temps, faire de la divergence sexuelle un strabisme honteusement ontologique.

Ne pourrait-on pas – ne devrait-on pas –  imaginer, en lieu et place de cette "journée de la femme", une journée plus dissidente, plus irrécupérable, qui porterait le nom – impensable par l'homme – de "journée du refus d'être une femme" ? Et ici je citerai Monique Wittig, qui dans le le chapitre 2 de La Pensée straight, intitulée "On ne naît pas femme", écrivait ceci:
"Pourtant, refuser d'être une femme ne veut pas dire que ce soit pour devenir un homme."
Dans ce texte, Wittig a pressenti et travaillé à la violence et l'importance du changement à venir:
"Il nous faut opérer une transformation politique des concepts-clés, c'est-à-dire les concepts qui sont stratégiques pour nous. Car il y a un autre ordre de matérialité qui est celui du langage et qui est travaillé par des concepts stratégiques. Il y a un autre champ politique où tout ce qui touche au langage, à la science et à la pensée renvoie à la personne en tant que la subjectivité."
Et quand Wittig termina sa communication par cette phrase désormais célèbre – "les lesbiennes ne sont pas des femmes" –, les luttes féministes connurent un tournant. Ce tournant fut-il entendu?  Considérer l'hétérosexualité "comme un régime politique" ( (je cite ici Louise Turcotte, membre du collectif fondateur d'Amazones d'Hier, Lesbienne d'Aujourd'hui) était – est – le coup le plus violent qu'il se pût – qu'il fallait – enfin – porter. Et ce coup, peu d'hommes ne voulait le voir venir. Les hommes aiment bien la boxe, mais nettement moins les lesbiennes, qu'ils n'imaginent qu'en débardeur et les cheveux courts. Quand on sait ni être père ni comparse, à quoi bon inventer la liberté pour tous?

Non, célébrer une "journée de la femme" dans une société où le terme d'hétérosexualité est un "fétiche" (Wittig), reste problématique. La seule chose que l'homme, s'il avait d'autre idéal que la lâcheté, devrait instaurer, c'est une "Journée du viol". Car si les lesbiennes ne sont pas des femmes,  convenons, en miroir de l'esprit-Wittig, que les hommes, eux, sont des violeurs. Mais je ne suis pas sûr qu'une "Journée du viol" serait bien vue dans un pays où c'est tous les jours la Saint-Dodo-La-Saumure.

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On se reportera, d'urgence, au texte de Monique Wittig, La pensée straight, réédité par les éditions Amsterdam, 10 €
Et on lira ou relira, d'urgence aussi, le texte de John Stoltenberg, Refuser d'être un homme, dont j'ai déjà parlé ici.

4 commentaires:

  1. Excellent !
    Je ne vois pas de meilleur commentaire que cet article que je partage...
    http://www.letemps.ch/Page/Uuid/3c88257a-6896-11e1-8c39-92664d500950/Le_Salon_de_la_femme

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  2. Beau manifeste en faveur de la haine de soi.

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    1. Une telle réaction n'a rien d'un manifeste en faveur de votre intelligence en tout cas.

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  3. Pauvre homme. As you rape, I live like a beast. Man.

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