mardi 31 mars 2015

Peler, écrire: c'est pour ta pomme

Peler une pomme en une fois, une seule, semble souvent au-delà de nos compétences, et au-delà de notre concentration, et nous avons souvent l'impression de trancher la pelure à mi-chemin comme pour conjurer le sort et affirmer notre imperfection. Pourtant, la chose est simple: il suffit de considérer les deux objets nécessaires pour accomplir un geste et non plusieurs.
Une pomme. Un couteau. Le mouvement doit être rotatif et descendant. Mais l'astuce est la suivante: ce n'est pas la main qui tient le couteau qui doit œuvrer, mais celle qui tient la pomme. En effet, c'est à la pomme de tourner, non au couteau de simuler le parcours de sa rotondité. Tenez le couteau comme s'il s'agissait de l'essence ; tournez la pomme comme si c'était l'existence, et imprimez-lui, doigts aidant, doigts agiles, un lent mais assuré mouvement de rotation. Ainsi, c'est la peau qui viendra se délester d'elle-même sous la lame (évitez l'économe, version orthopédique du couteau). Vous verrez, tout se passera bien.

Eh bien il est possible que l'inverse soit frais pour la travail sur la phrase. Certains écrivains, ayant sans doute maîtrisé la pelation [sic] de la pomme, opèrent similairement avec le langage. Plutôt que d'attaquer le fruit de la phrase, à la pulpe revêche, ils font juste tourner le globe du langage ordinaire, dont la peau ne demande qu'à se détacher; de là ces phrases bien tournées, quasi savoureuse. Je n'irai point breveter cette comparaison, ni encore moins la théorie qui en dégoutte [re-sic], mais à force de peler des pommes (je suis en pleine phase maîtrise de la pâte feuilletée) et à force de tailler des phrases (je suis en pleine phase putain c'est pas gagné), j'ai l'impression que c'est un peu ce qui se passe.

Le coulé du geste, la douceur de la pulpe, l'hélicoïdal lustré  de la peau, la jouissance du geste continu: quelle aisance, quelle saveur, quelle beauté. Jai envi 2 dir: quel ennui. Mais le fruit: ce potentiel de pourriture. Ne faut-il pas le peler en sachant qu'il contient en lui tout le devenir de la décomposition, des vers? Voir en lui la chose talée à peine tombée. Pas le truc made in Eve und Adam qu'on peut poser au milieu de la table, mais un projectile, une bombe, le sorbet de la mort.

Quand je pèle ma phrase, je me coupe, nos pulpes se confondent, le jus qui coule poisse, il faut tout refaire, tout nettoyer. Mon livre, je le sens, ne sera pas de la tarte. C'est lui qui me cuisine, non l'inverse. Bon, j'aurais pu prendre le topinambour comme autre exemple. Mais peler un topinambour, c'est un peu comme lire du Eric Laurrent, si tu vois ce que je veux dire. 

Je vous laisse, j'ai un Noémi Lefebvre sur le feu, et là, soyez sans crainte, c'est pour les gourmets.

2 commentaires:

  1. Mais avec quoi as-tu pelé la première phrase du deuxième paragraphe ??

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  2. Sous le soleil de l'écriture, la peau pèle. La plume, ce couteau parfois si bien aiguisé, râpe la feuille et, pour finir, la dénude. Pourtant, les mots à la pelle sont le quotidien de bien d'autres ("Pelletons, pelletons, il en restera toujours quelque chose").

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