jeudi 20 novembre 2014

Il faut sauver le soldeur Foenkinos

Vous êtes peut-être quelques-uns à avoir lu le papier honteux qu'a écrit le journaliste David Caviglioli sur le roman de Foenkinos, Charlotte. Comme vous, si vous l'avez lu, j'ai été choqué par le procédé et la bassesse de l'attaque. Que Monsieur Cavigliolo n'aime pas le livre de Foenkinos, c'est son droit, mais qu'il le descende de façon aussi péremptoire, sans argumenter, c'est lamentable. Par exemple, il reproche à l'auteur d'être incapable de la moindre poésie. Foenkinos a décidé de solder la prose pour mieux racheter la poésie: rien que cela est digne d'un peu de dignité.

C'est ne plus savoir lire. Il suffit de se plonger à corps perdu dans la première page du livre pour en avoir la preuve contraire. Voici le vers 11:
"Leur mère est plus douce."
Ce vers de cinq pieds est d'une grande richesse polysémique, car on y entend comme en délicat filigrane l'expression douce-amère, ce qui n'est pas le moindre de ses mérites. Oui, car l'art de Foenkinos, cet écrivain littéralement habité par la langue, est à traquer, torche à la main, dans les nuances, les subtilités, et aussi la nuance des subtilités. Le paltoquet Caviglioli parle à un moment du "souffle court" de Foenkinos. Là encore, il ne sait pas lire, et s'il avait été un peu plus loin il aurait pu se faire une idée plus juste de la phrase foenkinienne, tout en élan et majesté, proche des vastes foulées d'un Claude Simon:
"Elle avance maintenant la culpabilité au cœur."
Période ample, ryhtmique, presque solaire, et qui a un je ne sais quoi de modianesque, en plus de comporter cette audace sémantique: on y parle en effet d'"avancer une culpabilité". Image forte. La culpabilité, comparée à une somme d'argent qu'on prête. Plus loin, Caviglioli, qui n'est plus à une bassesse près, ose cette affirmation grotesque: "Foenkinos n'a rien à dire." Tsss. S'il avait pris la peine de lire le début du Chant III, il aurait compris que c'est tout le contraire:
"La guerre s'enlise, paraît éternelle.
C'est une boucherie dans les tranchées."
Il était temps de dénoncer ce carnage qu'est la guerre, et de le dénoncer poétiquement, qui plus est en jouant sur la profondeur des mots et la versatilité des sens. Le verbe "enliser" préfigure la clausule du vers suivant; "tranchée", et le mot "boue" semble rugir tel un palimpseste rageur dans le mot beau, fort et puissant de "boucherie". Même Florian Zeller n'avait pas poussé la dénonciation des horreurs de la guerre que se mènent les hommes avec des armes qui tuent aussi loin (on a tous en mémoire cette phrase lapidaire de La Jouissance: "Verdun’, ce seul mot fait frémir d’horreur.").

Enfin, Caviglioli traite Foenkinos d'inventeur du "roman touristique". Comme c'est fin, comme c'est malin! Pourtant, rien de touristique chez Foenkinos, on est plutôt du côté de l'épique, pas très loin parfois de Maurice Carême, par exemple quand l'auteur dit: "C'est un soir si froid de novembre." Camper une saison et une heure de la journée avec un octosyllabe parfaitement cadencé, voilà qui force le respect.
Bref, je voudrais mettre en garde ce journaleux arrogant contre de tels odieux laminages. Il faut savoir lire avant de critiquer, mon cher Caviglioli, savoir écouter la "petite musique" de la phrase avant de persifler. Charlotte est un grand roman en vers. La preuve, il a eu deux prix.

4 commentaires:

  1. Ou bien peut-être plus simplement Claro mère/mer la redécouverte de l’océan d'amour maternelle qui était peut-être aussi salé que les eaux de la mer morte ou l'on ne peut s'enfoncer ... ect ... de même pour avancer dans la culpabilité qui passe outre la contradiction du mur et tourne l'impasse apparente en une lecture "intègre" de la vie plus paradoxale ... bien a vous.

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  2. Cher Claro,

    J'ai eu l'occasion, pendant les vacances de la Toussaint, durant lesquelles je me trouvais en villégiature dans la France profonde, de feuilleter le "livre" de David Fuckinos, en tête de gondole d'un supermarché, entre le "livre" de Valérie T. et l'enquête de Stéphane Bourgoin sur le "Dahlia noir". Cette association était belle comme la rencontre fortuite entre une déneigeuse et un jet privé.
    Bref, en parcourant cursivement l'affaire, j'ai eu le sentiment que "l'auteur" tentait de s'acheter un supplément d'âme, via un Destin exemplaire et tragique. Un "rapt sur la Shoah" en quelque sorte. Nausée.

    Amicalement.

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  3. Claro, on ne dit pas "pieds' quand on parle de mesure d'un vers mais de syllabes .

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  4. Ca fait moins mal en riant , merci monsieur. Mais quand je pense que certains ont pu trouver des qualités à "Charlotte" et se moquer ensuite de "Terminus Radieux, il faudra plus qu'un rire pour laver cet affront, au moins une bonne cuite.

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