En entendant Eric Zemmour à
l’émission de Ruquier, outre le douloureux sentiment d’assister à la
montée en puissance d'un énième racialiste, on reste confondu par la bêtise du
propos, qui n’existe que pour faire avancer des thèses qu’on croyait encore il
y a peu l’apanage du Front national. Mais le plus étonnant dans sa prestation, c’est le besoin qu'il éprouve
de s’en prendre aux «déconstructeurs».
Qui sont ces hordes barbares
dont Zemmour nous vante l’incroyable pouvoir, des hordes qui ont
« déconstruit toutes les structures sociales » afin de libérer un
individu qui désormais « fait n’importe quoi », et n’est plus
« qu’une particule dans un monde marchand ». Eh bien, ces ostrogoths
ont pour noms… Deleuze et Guattari ! Peu importe que, philosophiquement,
la déconstruction soit le fait de Derrida. C'est un "détail".
Zemmour a dû feuilleter l’ouvrage de Cusset sur la « french theory », survoler les
âneries de Sokal & Bricmont, lire un résumé du pamphlet d’Aubral et Delcourt (et
sûrement se taper le quatrième de couverture de La barbarie à
visage humain…) et se dire que ce n'était pas la peine de se plonger dans les œuvres de Deleuze. Du coup, pour Zemmour, les années 60 se signalent par
l’émergence d’un triptyque maudit : déconstruction / dérision /
destruction. Pourquoi pas décongélation tant qu’on y est… Ah, c’est embêtant,
parce que dans les années 60, Deleuze écrivait sur Nietzsche, Bergson,
Spinoza, etc. – L’Anti-Œdipe n’est
paru qu’en 1972, et c’est davantage une critique du familialisme tel que le
conçoit la psychanalyse qu’un appel à renverser l’ordre établi pour devenir un
pur consommateur, ce me semble …
Mais dire « les années 60 » reste plus efficace que dire « les
années 70 », apparemment. On a ainsi l’impression que c’est Deleuze qui
lançait des pavés… Eric Zemmour s’en fiche, il tient un os et ne veut pas le
lâcher. Pense-t-il vraiment que Deleuze a détruit les
structures élémentaires de la parenté, brouillé les frontières entre le cru et le cuit, et permis l’avènement de la globalisation
marchande? Pense-t-il vraiment?
La haine de l’étranger et des
identités sexuelles floues semble devoir, depuis quelque temps, se doubler
d’une critique virulente des philosophes des années 70, comme si, pour étoffer
son incurie et son inanité, cette critique avait besoin de s’inventer un
ennemi, qui plus est pensant. De là cette « apparence critique » qui
se résume en fait à une haine de la pensée. Car il est clair que Zemmour n’a
jamais lu une ligne de Deleuze, à qui il attribue tous les maux actuels. Néanmoins,
il faut peut-être voir dans ce
réflexe primaire un désir de s’inscrire dans un débat d’idées, de donner
l’impression qu’on a réfléchi, que ce qu’on avance se fonde sur des opinions
qui elles-mêmes se seraient forgées au contact d’idées qui, si ça se trouve, auraient
peut-être frôlé le monde des concepts. Bref, singer la réflexion pour mieux plébisciter une opinion.
Mais, a-t-on envie de dire, étant
donnée la teneur de la « thèse » avancée – en gros: osons la discrimination et décomplexons le racialisme –, pourquoi se lancer dans une absurde et improbable croisade contre
d’énigmatiques «déconstructeurs » ? Le mieux, je crois, est de relire
ces propos de Deleuze sur les techniques du « marketing philosophique » :
« […] il faut qu'on parle d'un livre et qu'on en fasse parler, plus que le livre lui-même ne parle ou n'a à dire. A la limite, il faut que la multitude des articles de journaux, d'interviews, de colloques, d'émissions radio ou télé remplacent le livre, qui pourrait très bien ne pas exister du tout. C'est pour cela que le travail auquel se donnent les nouveaux philosophes est moins au niveau des livres qu'ils font que des articles à obtenir, des journaux et émissions à occuper, des interviews à placer, d'un dossier à faire, d'un numéro de Playboy. »
Imaginer Zemmour en train de lire Deleuze, ti es bien un romancier, toi ! (avec l'accent pied-noir...)
RépondreSupprimerFracassant ! J'adore ! Encore !
RépondreSupprimerLes médias font trop d'honneur à ce minable inculte, merci de votre texte où tout est dit. Marie71_12
RépondreSupprimeremmerdons zemmour et réécoutons la voix de Deleuze citant Nietzsche, sur une musique de Pinhas: http://bertfromsang.blogspot.fr/search/label/heldon
RépondreSupprimerla famille sera toujours la base de la societe
RépondreSupprimerhonere de balzac