vendredi 14 novembre 2014

Il était une fois dans l'Ogre

Pendant longtemps, disons au cours de la période pré-pompidolienne et post-Clovis, l'ogre était une sorte de brute épaisse avec un sanglier en guise de barbe, doté en outre d'un appétit qu'il ne faisait pas bon croiser à la sortie de la communale. Il buvait du mauvais whiskey, s'essuyait les babines avec des moutons et arpentait la campagne comme si c'était un paillasson. On le craignait, on l'évitait – et quand on le croisait, on se signait en pleurant avant de finir dans l'un de ses quatre estomacs. Seuls les amateurs de contes le prenaient vite fait bien fait en photos. Mais ça c'était autrefois. Désormais l'ogre n'est plus ce rustre affamé. Désormais, l'ogre est un… éditeur.

Je m'explique (j'aime bien m'expliquer, c'est plus facile que d'expliquer les autres). Il était une fois deux êtres humains répondant aux noms respectifs de Benoît Laureau et Aurélien Blanchard — non contents d'être amis, jeunes, beaux et intelligents, ce sont des passionnés. Benoît est un fou de cuisine et Aurélien serait prêt à tuer pour jouer au baby-foot. Comme si ça ne suffisait pas, ils ont décidé de créer les éditions de l'Ogre, ce qui n'est pas seulement une bonne idée mais également une excellente idée. Et pour commencer en beauté, ils ont décidé de publier un des plus beaux textes au monde, je veux parler du méconnu mais sublime Aventures dans l'irréalité immédiate, de Max Blecher. Ce texte avait été publié dans les années 70 par Nadeau, et nos Ogres nous en proposent aujourd'hui une nouvelle traduction (d'Elena Guritanu), agrémenté d'un autre texte de Blecher, Cœurs cicatrisés.

Je vous reparlerai très bientôt du texte de Blecher, que j'ai préfacé – mais sachez que "de tous les textes rares, sombres et solaires, têtus et célibataires comme les machines grippées qui les engendrèrent, Aventures dans l’irréalité immédiate demeurera à jamais comme l’un des textes les plus inouïs qu’ait produit un jeune homme promu non à l’envol glorieux mais à la pétrification hurlante". Non mais.

En attendant, retenez l'inquiétante familiarité de cette notion: irréalité immédiate. Voici en effet comment les compères Laureau & Blanchard définissent leur "aventure" :
"Nous souhaitons défendre des livres qui mettent à mal notre sens de la réalité. Notre ligne éditoriale veut donc rassembler sous une même bannière une certaine littérature du glissement de la perception, de l’effritement ou de la saturation du réel, que nous appelons, en référence à Max Blecher, la littérature de l’"irréalité". Nous pensons à des auteurs comme Kafka, bien sûr, mais également Musil, Gombrowicz et Blecher pour les étrangers, ou Hardellet et Pons pour les Français, et dans un registre plus contemporain, à tous ceux qui entreprennent un rapport singulier à la réalité et à la langue, tels que Rodrigo Fresan, Antoine Volodine, Éric Chevillard, Juan Francisco Ferré ou encore Jacques Abeille."
Le livre de Blecher, auteur roumain mort à 29 ans et l'égal d'un Bruno Schulz, sortira chez l'Ogre le 6 janvier. Ceux qui n'en feront pas l'acquisition ont intérêt à savoir courir vite, c'est moi qui vous le dit. En même temps que ces magnifiques Aventures dans l'irréalité immédiate, l'Ogre publie le premier roman de Fabien Clouette, Quelques rides, dont on vous parlera bien sûr aussi.

Voilà, vous êtes prévenus. L'ogre est revenu parmi les hommes – mais cette fois-ci c'est vous qui allez le dévorer, livre après livre.

2 commentaires:

  1. Ca tombe très bien, j'avais faim... je sais maintenant quoi dévorer !

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  2. Pour le dire pas bien du tout : on va se goinfrer !

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