Froide est la guerre, mais plus froides encore les panses anonymes des abysses. Il y évolue d'étranges krakens de fer aux rivets chantants, des boîtes noires à écailles que viennent caresser les dernières sirènes du monde. On y trouve même des êtres de simulacres, pourtant véridiques. Et avec un peu de chance, par temps clair, on pourra y croiser Alvin, un néo-bathyscaphe dont Alessandro Mercuri retrace la carrière mouvementée dans les années 60.
Reprenons. Le dossier Alvin – enquêtes, archives, photographies, neuvième volume de l'excellente collection suisse Re:Pacific, joue le jeu instable de l'enquête enchantée, et le joue avec intelligence, virtuosité et liberté. Campant les Etats-Unis de la Guerre froide et établissant des liens entre la sécurité intérieure et le mirage hollywoodien, Alessandro Mercuri nous entraîne, au gré de vignettes truquées et de photos doublées, dans les eaux troubles du fantasme (sub-)atomique. Tout commence quand est interrompue brutalement la projection de Docteur Folamour de Kubrick. Il s'est passé quelque chose à Dallas: la cervelle présidentielle a explosé; la bombe de Strangelove est aussitôt désamorcée. Ce dysfonctionnement, Mercuri en fait un des nombreux disjoncteurs de son enquête. Il épaissit les mystères, brouille les pistes, réveille les chimères. On suit les péripéties d'Alvin dans un monde vu comme à travers une vitre gelée: gelée par les secrets, l'information distordue et la fantaisie de l'auteur.
Le 17 janvier 66 a lieu un accident atomique connu sous le nom de catastrophe de Palomares. Une bombe finit au fond de l'océan, et c'est l'ami Alvin qui la retrouvera après soixante-quinze jours de traque. Alvin permettra également de découvrir d'étranges spécimens de vertébrés et d'invertébrés. Alvin est un virus. Un explorateur. Une boîte à musique. Alvin est la navette que promène l'auteur sur la trame océane de son enquête à retardement. Le texte de Mercuri profite de ces deux pôles – menace atomique, exploration des grands fonds – pour faire balbutier la légende et l'histoire. Il sera ainsi question du tournage du clip des Village People, In The Navy; du dragon de mer feuillu, "merveilleuse et gracieuse créature que celle qui, dans toutes les fibres de son être, simule sans savoir qu'elle simule"; d'un narval lanceur de pieuvre qui inquiète Cervantès; de l'île Argus qui n'existe pas mais est très utile; d'une "femme hâlée de lumière, au ventre nu, virginale et bikini d'étincelante blancheur"; d'un crustacé décapode qui est peut-être la chose en "soie" [sic]…
Tout est vrai, même le songe. Mercuri fait rêver l'histoire secrète les grands fonds, agitant le hochet qu'est Alvin pour mieux subjuguer nos consciences intriguées. Question: "Est-ce un mirage miroitant à la surface de la mer allée avec le soleil?" (p. 63) La réponse, comme s'en apercevra le lecteur, est amplement diffractée dans ce poème stimulant et envoûtant qu'est Le dossier Alvin.
_______________
Alessandro Mercuri, Le dossier Alvin, coll. Re:Pacific, Editions art&fiction, 22€50
a propos de grands fonds (et je ne parle pas de ceux de chez Cheyne, toujours rares, mais excellents)
RépondreSupprimeril faut lire les récits de Ethan Rutherford "The Peripatetic Coffin and Other Stories" c'est paru l'an dernier chez Ecco (ISBN-13: 978-0062203830) et je m'étonne que cela ne soit pas encore traduit (déjà avec un titre pareil...., et il y a 8 nouvelles du même tonneau si l'on peut dire)
Cela narre l’histoire de Ward Lumpkin, un des 7 membres de l’équipage du « H.L. Hunley », premier sous marin des Etats Confédérés d’Amérique (les Sudistes). Le sous marin et son histoire sont véridiques. Le sous marin (à propulsion humaine par manivelle) a une longue histoire, puisqu’il a déjà coulé 2 fois, entrainant la perte de ses deux équipages.
voila pour le début.
alors l'Alvin, à coté......