dimanche 31 mars 2013

Müller aux Bouffes: festin de feu

Aujourd'hui dimanche, à 16h, vous pouvez encore voir le spectacle Qu'on me donne un ennemi, mis en scène par Mathieu Bauer aux Bouffes du Nord – quatre textes de Heiner Müller d'une intensité rare, lus par André Wilms. Vous ne le regretterez pas. Dans la salle à l'italienne de Peter Brooke, avec ses murs et balcons que l'esprit du feu dévore encore, quatre personnes sur scène: André Wilms, qui sur sa chaise se tord tel un personnage de Bacon happé par un fond noir ; en retrait et à gauche Sylvain Cartigny et ses trois guitares, qui attaque par une reprise lou-reedisé de Back in USSR des Beatles avant de déchaîner les accords de Vulcain; derrière lui le metteur en scène, à la batterie  Mathieu Bauer, monstre d'énergie et de fluidité, rocher liquide ricochant sur ses cymbales; et toujours en retrait, mais à droite, Lazare Boghossian, discret mais tenace, face au métier jacquard de ses ordi et tablettes, balançant sample et loop.
Le premier texte de Müller est un texte intitulé Ajax par exemple, on peut le trouver dans l'édition de ses poèmes parus chez Bourgois, c'est un texte de 1994, écrit donc un an avant la mort du dramaturge. Un long poème collage qui pulvérise tout, dans l'esprit du premier Brecht, et que Wilms module et désosse à merveille tandis que derrière lui l'enfer se déchaîne. Le Mur est tombé mais des gravats se relèvent morts et injonctions:
Dans les débits de livres les best-sellers
S’entassent Littérature pour idiots
À qui la télévision ne suffit pas
Ou le cinéma qui rend débile plus lentement
Moi dinosaure mais pas de Spielberg me voici
Réfléchissant à la possibilité
D’écrire une tragédie Sainte noblesse
Dans un hôtel de Berlin capitale irréelle
Par la fenêtre mon regard tombe
Sur l’étoile Mercedes qui tourne
Mélancolique dans le ciel nocturne
Au-dessus de l’or dentaire d’Auschwitz et autres filiales
De la Deutsche Bank sur l’Europacenter
Europe Le taureau est abattu la viande
Pourrit sur la langue pas une vache n’échappe au progrès
Les dieux ne te rendront plus visite
(traduction Jean Jourdheuil)
Puis le spectateur entend l'histoire revisitée de Prométhée, drôle et glaçante, l'homme de chair anté à son rocher avec son ami l'aigle qui se nourrit de son foie, le tout tapissé des fientes du temps, et toujours la guitare qui gronde, la batterie qui rafale, des sons perdus et retrouvés, bref, un concert rock taillé dans l'effroi d'où pulse par intermittences la voix implacable d'André Wilms, qui s'achève par un court texte lu en allemand, finale tellurique où Barbe-Bleue dévore tout.
L'heure passe trop vite. On est encore tout électrisé. L'enchanteur Müller ne fait pas de quartier.

2 commentaires:

  1. ah oui je l'ai vu, c'était formidable

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  2. Oui , formidable, époustouflant, fascinant , inoubliable, lumineux, terrible ...je l'ai vu deux fois et ne m'en remets pas . Mais dois-je vraiment m'en remettre ?????????
    Isabelle

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