C'était la recommandation de l'été.
Le Clavier Cannibale vous donne rendez-vous
début septembre pour de nouvelles et palpitantes aventures…
"DYHAB DUM DUBWHTPHFIYAWYC GYPO IWFU DYSL GNOC SMB EWI ATG CTA (etc.)".
© Louis Monier |
Lowry, Faulkner, Borgès, Kafka : Nadeau a ses piliers. Il vit, surtout (mais que veut dire cet adverbe chez un tel ogre ?) dans l’ombre insistante de Flaubert, à qui il consacra un essai, Flaubert qui « pourtant, [il] n’est quand même pas très neuf… ». Et Nadeau de répondre ainsi à la question de Laure Adler [Parmi les absents, avec qui vis-tu le plus ?] :"… C’est vraiment un auteur classique, étudié dans les classes, mais je ne sais pas, je pense plus souvent à lui qu’à ses œuvres. Flaubert ne me quitte pas. Quand il abandonnait Croisset pour Paris, il allait dans un appartement près de la porte Saint-Martin : j’y suis souvent allé. Je vais en quelque sorte lui rendre visite. C’est un sacré bonhomme tout de même. Grâce à la princesse Mathilde, Napoléon III veut lui donner la Légion d’honneur, et tu sais ce qu’il dit : ‘Non, je ne peux pas accepter ça.’ Et il écrit dans sa correspondance : ‘Les honneurs déshonorent’… C’est formidable ! Il la reçoit, la Légion d’honneur, et tu sais ce qu’il en fait ?Laure Adler : Non…Maurice Nadeau : Il la trempe dans son café ! »
"Elle fut expédiée dans un camp où elle purgea les huit années qui lui restaient, du premier au dernier jour. Elle ne se séparait jamais de son manuscrit. Les précieux feuillets avaient couru bien des dangers: "T'as fini de nous emmerder avec tes papiers à la con?" braillaient ses voisins de châlit. Elle avait réussi à conserver son manuscrit jusqu'à son retour, jusqu'au jour où elle s'est retrouvée chez nous, perspective Kirov, devant une machine à écrire, à retaper son Don Juan."
« Les limites, les pièges, les impossibilités me sont indispensables, je pars chaque jour à leur rencontre. »
"Nota : ici, l’action est vue au ralenti et en plan serré, mais il va de soi que tout traducteur fait ça cinquante fois par page, intuitivement, au grand galop et sans descendre de son cheval toutes les deux secondes."
"Voilà comment, pour traduire deux mots, on aura consulté un dictionnaire français en ligne, trois unilingues portugais (un du XIXème, deux du XXème siècle), un bilingue plutôt loyal, deux manuels d’argot chinés dans une vie antérieure et une monographie illustrée sur la tauromachie équestre portugaise. Il n’en reste pas moins que l’outil le plus précieux et le plus personnel du traducteur est sans doute ce que Michel Bréal nomme le « dictionnaire latent », niché on ne sait trop où dans la cervelle."
© Tomi Ungerer |
"The act of love strongly resembles torture or surgery."
"L'acte d'amour ressemble fortement à la torture ou à une opération chirurgicale."
"L'amant, le bourreau et le chirurgien font peu ou prou le même travail."
"L'amour ressemble fort à la torture ou à une opération chirurgicale." (solution A)
"Il y a dans l'acte d'amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale." (solution B)
"Quand même les deux amants seraient très épris et très pleins de désirs réciproques, l'un des deux sera toujours plus calme ou moins possédé que l'autre. Celui-là, ou celle-là, c'est l'opérateur, ou le bourreau ; l'autre, c'est le sujet, la victime. Entendez-vous ces soupirs, préludes d'une tragédie de déshonneur, ces gémissements, ces cris, ces râles ? Qui ne les a proférés, qui ne les a irrésistiblement extorqués ? Et que trouvez-vous de pire dans la question appliquée par de soigneux tortionnaires ? Ces yeux de somnambule révulsés, ces membres dont les muscles jaillissent et se roidissent comme sous l'action d'une pile galvanique, l'ivresse, le délire, l'opium, dans leurs plus furieux résultats, ne vous en donneront certes pas d'aussi affreux, d'aussi curieux exemples. Et le visage humain, qu'Ovide croyait façonné pour refléter les astres, le voilà qui ne parle plus qu'une expression d'une férocité folle, ou qui se détend dans une espèce de mort. Car, certes, je croirais faire un sacrilège en appliquant le mot : extase à cette sorte de décomposition."
"C'est impossible d'y échapper. On vous jette dans une marmite, on vous remue et on vous cuit avec le reste, sans que vous ayez votre mot à dire. Il faut juste essayer d'être le plus dur à cuire possible" (p.153)
"[…] car pour moi le public est comme un mur contre lequel je dois me battre."
"Ce dont vous avez besoin, vous autres jeunes écrivains, c'est tout simplement de la vie même, de la beauté et de la flétrissure du monde [….] Ce qu'il vous faut, ce n'est pas des prix d'encouragement, des bourses ou des assurances sociales; c'est le déracinement de votre âme et de votre chair, la désolation, la déréliction quotidiennes, le gel quotidien, l'impasse quotidienne, le pain pas plus que quotidien […]. Ce qu'il vous faut, c'est tous les lieux où quelqu'un se lève puis meurt, où la pluie lave la pierre et où le soleil pèse comme un couvercle."
"[…] rappelez-vous: la renommée ne se mange pas. Et vous ne pouvez écrire que si vous voulez écrire et vous ne pouvez vouloir que si vous le ressentez vraiment."
"Dans [l]es autres professions, vous pouvez toujours faire semblant. Par contre, si vous écrivez sans y croire, vous ne produirez que de la merde."
"Le vent s'est levé, et a voiture a commencé à se balancer. Des flocons de neige passaient par les fentes et voletaient au-dessus de ma tête. A tâtons, j'ai ramassé le petit crâne d'un pauvre petit oiseau et je l'ai tenu longtemps dans ma main. Il semblait contenir tout ce que j'avais fait dans ma vie, bon et mauvais. Et puis je l'ai glissé, aussi fin et fragile qu'une coquille d'œuf, dans ma bouche."
« Mes forces ne suffisent plus à la moindre phrase. Oui, s’il ne s’agissait que de mots, s’il suffisait de placer un mot et que l’on pût s’en détourner, la conscience tranquille de s’être mis tout entier dans ce mot ! »
« La consolation serait de pouvoir te dire : Cela se produit, que tu le veuilles ou non. Et ta part de volonté n’y contribue que faiblement. Plus que de la consolation, ce serait de pouvoir constater : Toi aussi tu as des armes. »
« Je sais qu’elle [la phrase] vient – ou qu’elle me vient, admettons-le ; je sais qu’elle est en effet attirée ; mais j’ignore d’où, et sais très bien que je l’ignorerai toujours. […] Ce que j’appelle la ‘phrase’ est en somme ce qui m’affronte, ce qui m’a toujours affronté à ce qui n’est pas et ne peut pas être, et vis-à-vis de quoi je suis à jamais sans rapport. »
© YR — (D.R.) |
"Il y a ainsi quelques rares livres grâce auxquels on parvient à se libérer de cette menace toujours présente de la démence précoce, des livres dont on découvre qu’ils empêchent de de gratter le sol, de griffer l’herbe […]."
"Je suis ma propre inappropriation, c’est ce qui me fait exister."
« Tout ce qu’on me disait, j’avais l’impression de l’avoir déjà entendu, et je ne pouvais plus écouter. Je ne pouvais plus rester assise dans des petits bars près de Grand Central à écouter quelqu’un se plaindre de l’incapacité de sa femme à accepter de l’aide tandis qu’il ratait à nouveau son train pour le Connecticut. Cela ne m’intéressait plus d’apprendre quelle avance d’autres personnes avaient touchée de leur éditeur, d’entendre parler de pièces à Philadelphie dont le deuxième acte se passait mal […] Je pleurais jusqu’à ne plus faire la différence entre les moments où je pleurais ou pas, je pleurais dans les ascenseurs et dans les taxis et dans les pressings chinois […]. »