mardi 24 février 2015

Traduire, c'est pas dans la poche

Il paraît que La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski est paru en poche, aux éditions Points, dans la collection Signature. Je dis "il paraît", parce que je ne l'ai pas reçu. J'ai été averti, presque par hasard, de sa future parution il y a quelque temps, cela dit. Peut-être est-ce à moi de réclamer un ou deux exemplaires? Quoi qu'il en soit, c'est une pratique courante dans l'édition française: quand un livre que vous avez traduit paraît quelque mois ou quelques années plus tard en format poche, il est rarissime qu'on vous envoie des exemplaires de cette version recalibrée. Pourquoi?

C'est comme si, au fil des réimpressions, des remises à l'office, reparutions, changements de décor, de format, le nom du traducteur s'estompait lentement mais sûrement, soumis à une érosion apparemment naturelle: le livre retrouve sa vérité éternelle: ni écrit ni traduit, il est juste paru. Eloigné de ses impulsions originelles, il a oublié quelques dettes au passage.

D'ailleurs, une fois en poche, le nom du traducteur disparaît souvent de la couverture, où sans doute il ferait tâche, oh et puis les poches c'est pour le grand public, ne les embêtons pas avec ce genre de précisions oiseuses, hein. Pourtant, c'est dingue comme le traducteur était précieux au moment de la parution du livre! On avait besoin de lui pour jouer l'interprète, pour accompagner l'auteur ici et là, pour assurer les renforts de la promotion, etc. Et puis, avec le temps, va, tout s'en va, même les plus chouettes souvenirs, ça, t'as une de ces gueules… Mais foin du ressentiment, n'en voulons pas trop aux éditeurs, car en ce moment, vous le savez tous sans doute, ils ont fort à faire puisque se tient Porte de Versaille le Salon de l'Agriculture. Alors, tous en chœur, chantons bien haut: Bravo le veau!

8 commentaires:

  1. Oh! Et ce "maison" en bleu... Oh!

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  2. Bon, pas de panique, c'est malheureusement une pratique courante dans le milieu de l'édition... et pas uniquement littéraire ! Un mien ami violoncelliste, Alexis Descharmes, a trimé comme un bagnard pour enregistrer la musique pour violoncelle d'un respectable compositeur américain de 80 ans bien sonnés (Roger Reynolds), le disque est sorti depuis plus d'un mois aux USA, il est disponible à la vente sur A..z..e (une maison de ventes en ligne bien connue, surtout pour son non-respect du droit local de ses employés), et il n'en a toujours pas reçu un seul exemplaire ! Si vous aimez le violoncelle ET la musique contemporaine, ne le ratez pas, c'est magnifique... (j'ai eu le bonheur d'assister aux concerts, je parle en connaissance de cause).

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  3. Ce n'est qu'un premier pas, l'effacement du nom du traducteur. J'espère bien que dans la foulée on effacera aussi le nom de l'auteur et celui de l'éditeur et qu'il ne restera que le texte, enfin.

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    1. Oui, et d'ailleurs, poussons la logique à l'extrême, vivement l'effacement du texte, tout ces mots qui salissent la page pour ne rien dire...

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  4. Et en même temps , je suis venue à vos livre par "central Europe"...Je ne vous aurai sans doute jamais croisé sans cette traduction, je ne me souviens pas si vous étiez crédité sur la version poche "acte sud" dans laquelle je l'ai lu, mais je me souviens m'être dit que ce livre était superbement écrit et que ,s'agissant d'une traduction ,ce superbement s'adressait à votre style, pas à celui de Vollmann dont j'ignore en réalité tout.... ...et je vous ai cherché..donc nom ou pas,....

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  5. Et de mon côté, encore un autre chemin, le blog, "Livre XIX", "Madman Bovary", et si un de ces jours je lisais ce livre de Danielewski, ce serait exprès pour le texte du traducteur. (En plus je lis l'anglais, alors ce serait vraiment pour lire un texte de Claro écrit à partir d'un texte de Danielewski).

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    1. Il y en a tout plein à lire, Ezzelina, Insula batavorum, Bunker anatomie, Eloge de la vache folle... et tant d'autres que j'oublie !

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  6. « Entendre deux personnes parler aussi longtemps était pour E une chose singulière. Le vieil homme, comme s’il répondait à la question silencieuse de E, lui dit :
    - Cela s’appelle « converser ». C’est une habitude perdue entre les humains depuis longtemps mais, voyez-vous, ici, nous avons tout le temps. »

    « On lui avait appris à considérer les femmes comme des compagnes dévouées et averties, indispensables mais sans volonté propre. Il réalisait qu’ici, certaines avaient découvert un moyen de s’opposer à l’air envoyé de l’entreprise et qu’en plus, c’était beau.
    Car le chant, tout tissé de voix si basses, était lent et magnifique. E en vibrait encore et découvrait une émotion inconnue. Il n’avait jamais entendu la voix humaine chanter. Il ne connaissait que les parfaites voix de synthèse que l’on devait écouter avant de s’endormir. Un chant humain qui garde l’esprit en éveil, c’était une totale nouveauté. Il en fut bouleversé.
    Ainsi, lui qui venait en sauver apprenait qu’ici aussi, d’autres résistaient, à leur manière, une manière extraordinairement belle.
    E écouta du plus profond de lui-même et il apprit. Ce n’était pas son cerveau qui apprenait, c’était son cœur.»

    In Travaille travaillons travaillez

    in Une histoire de peau
    Jeanne Benameur

    E ( pas comme la disparition de Perec ?)

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