Il était une fois une exposition, ou plutôt une « sédimentation
d’images sans image », c’était à la fin de l’an dernier, à la galerie des
Grands bains douches de la Plaine à Marseille. A partir des œuvres exposées, la
philosophe de l’art Sally Bonn a conçu un texte intitulé, entre parenthèses –
comme s’il fallait marquer les marges, pour ainsi dire de la courbe de l’ongle – : (le peuple des bords), que publient les
éditons Le Mot et le Reste.
***
Plusieurs femmes, puis une seule, marchent dans la « zone »,
ou plutôt l’interzone, un espace hétérotopique encore à inventer, un
« espace de rejet », une « tranchée ouverte » – ne restent que les rails, qui elles-mêmes ont succédé à d'anciennes lignes de partage.
L’exploration de cet espace est la matière même du texte, où le corps ambule,
palpe, voit, note, s’allonge à même les textures pour mieux les éprouver, pour
mieux entendre la rumeur de la ville qui piétine autour. C’est un lieu à la fois
livré à l’oubli et offert à l’expérience :
« Ce n’est pas un lieu pour la flânerie, mais l’idée même de flânerie y devient possible quand le reste de la ville est pris entre la violence d’espaces urbains dévastés et abandonnés et la violence inverse d’une urbanité nettoyée et de façade. » (p. 13)
On avance donc ce texte à la façon – statique/mobile – de la
récitante, qui fait de son déplacement davantage qu’une translation :
occasion d’une remise en question, voire d’une création de questions
autres ; expérience physique de l’environnement, qui se frôle, du sol où
se larver, de la surface qu’on goûte. Lecture tactile de ce qui menace de faire
décor, faute de fonction, la zone à la fois réelle et spectrale que
« visite » la narratrice est celle qui manque aux villes et à la fois
en constitue la marge impensée.
Chemin de ronde d’un monde qui ne tourne plus rond, pré-texte à
parcours et détours, permettant d’être « en orbite au creux de l’espace
urbain », ces bords dépeuplés que la nature revendique à nouveau et que
les errants s’annexent trouvent en Sally Bonn une arpenteuse sensible, dont
l’attention aux choses n’empêche pas la possibilité du cri, tant la zone de
non-lieu décrite ici est indissociable, pour la femme, d’une idéologie du
piège. Face à la possibilité de la panique, ancrée dans cet
« en-bas », l’auteur oppose l’événement du ciel, avec ses vols
d’oiseaux propices aux divinations :
« Je fais de mon bâton un lituus et trace vers le ciel des cercles ou des huit en suivant le vol, des oiseaux. Je ne vois plus le ciel comme une entité mais comme un morceau prélevé, un espace d’inscription, ici de ce vol et de toutes les images à venir. Je dessine dans le ciel un périmètre que je reporte autour de moi pour délimiter un territoire et m’orienter. »
Et c’est justement ce que fait Sally Bonn à partir non seulement de l’espace
qu’elle écrit mais aussi des œuvres qui ont motivé son texte : elle « prend
les auspices », afin que naisse, dans l’au-delà de la beauté, dans la
danse des mots et des étourneaux, une « métaphore » – qui ici serait
déjà métamorphose. Images sans image.
La seconde partie de l’ouvrage donne à montrer les œuvres des artistes
cités plus bas – installations, photos, sculptures, papiers manuscrits,
matières, textures, autant de strates et de matières instables qui disent,
chacune à leur manière, la dépossession ingénieuse qui travalle les espaces.
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Sally Bonn, (le peuple des
bords) une sédimentation d’images sans image (à partir des œuvres de Joan
Ayrton, Cécile Beau, Faust Cardinali, Anne-Valérie Gasc, Agèns Geoffray,
Dominique Ghesquière et Virginie Yassef, éditions Le Mot et le Reste, 2014
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