"Il se produisait alors […] une série de catastrophes. […] on voyait se lever une race de champions, de prédateurs
d’humains : à savoir séismes, éruptions, tsunamis, tornades, typhons,
ouragans, sécheresses – les sept félons. Déluges, vents, incendies, glissements
de terrain. Les éléments classiques, mais furieux. Les océans se
réchauffaient, le ciel s’enflammait, la calotte glaciaire fondait, les mers débordaient.
Les Etats voyous, tels des gosses trucidant d’autres gosses à l’école primaire, se balançaient des bombes atomiques – à hydrogène – à neutrons. La vérole revenait, ou de la jungle africaine sortait un virus qui laissait
perplexe. Bien que reptilienne uniquement par l’esprit, la maladie nous faisait
perdre nos peaux comme des pythons et, les nerfs à nu, nous expirions dans
une écume de bave rouge. Partout les marchés perdaient le contrôle tels des
véhicules sur une piste de vitesse, heurtant le garde-fou puis percutant les
autres voitures en projetant des parties d’eux-mêmes sur les spectateurs assis dans
les gradins. Une fois l’argent devenu sans valeur – ultime religion reléguée –
les masses se déchaînaient, race contre race, dieu contre dieu, acquits
contre quêtes. Les insectes, endurcis par des générations de produits
chimiques, dévoraient nos provisions, les herbes folles envahissaient nos
champs, les fourmis rouges, les abeilles tueuses nous piquaient tandis que
nous allions nous réfugier dans l’eau où, paniqués, nous nous noyions, notre
orgueil semblable à une hostie trempée. Peste. Guerre. Famine. Un cataclysme
d’un genre ou d’un autre – imminent – faisait des millions de migrants.
Ratissant les routes. Ravageant les récoltes. Pillant les villages. Violant
femmes et enfants. Il n’y avait ni campements de réfugiés, ni repas distribués
par la Croix rouge, ni parachutages de denrées. Les déserts surgissaient aussi
soudainement que des éruptions sur la peau. Seul le soleil les sentait
suinter. Les eaux envahissaient ces terres nouvellement arides, comme invitées
par la plage. Les incendies de forêts faisaient rage, comme des feux de mines, pendant des années, s’exprimant par bouffées, vomissant de la
suie, noircissant la moindre feuille d’arbre avant même qu’elle se consume. Les
volcans se réveillaient en série, les montagnes s’amenuisaient comme si
elles étaient en sucre d’orge jusqu’à ce que les villes à leur pied succombent
à la lave vorace et ressemblent, aux yeux d’éventuels survivants, à des bris
de cacahuètes. Que les séismes secouent la terre, murmura fiévreusement le
professeur Skizzen. Que les glaciers avancent tels des hors-bords,
vociféra-t-il, menaçant un livre du poing. Ces convulsions étaient le signe
que les parasites avaient vaincu leur hôte, que le mal avait bâfré tout son soûl ;
on entendait alors sangloter le saint Esprit qui s’envolait ; on voyait suinter
une dernière goutte de vie comme un maigre pissat après une gorgée de trop ;
on sentait un frisson parcourir en profondeur cet univers de roches, d’eau,
de glace et d’air, car la terre crevait enfin des suites de sa longue
maladie, son moteur à court de carburant, son ciel privé de lumière, ses vents
incapables de reprendre leur souffle, ses océans changés en acide pur ;
nous nous retrouvions face à un monde décharné et sanguinolent, recrachant de
la vapeur par toutes ses plaies ; nous l’entendions entrechoquer ses
atomes tels des dés dans un gobelet avant de se répandre au hasard par une
faille dans l’atmosphère, la nuit et le silence recueillant non son sang mais, c’est
certain, sa cendre."
(extrait de Middle C, de William H. Gass, à paraître en janvier 2015
dans la collection Lot 49, trad. Claro)
Recette: choisir des éléments du réel, éplucher, laver à l'eau claire, faire chauffer dans un chaudron noir, répandre sur feuilleté, enfourner à 280 degrés. C'est dit puissance dix.
RépondreSupprimerPourquoi est-ce que je pense à "Sans l'Orang-outan"?
RépondreSupprimerBon j'espère que le livre en français paraîtra avant la fin du monde
RépondreSupprimerJe lis ce blog régulièrement depuis plus d'un mois et je trouve cela bien de proposer un extrait d'un ouvrage qui paraîtra dans la collection que vous dirigez.
RépondreSupprimeravant la fin du monde ? c'est donc qu'il y aura une fin
RépondreSupprimeresperons que d'ici la middle C sera traduit
mais aussi "a naked singularity" de sergio de la pava (ou cela en est il ? deadline ?)
par contre est ressorti "Personae" du meme auteur, et ecrit avant
a mon avis bien superieur avec une typo-presentation-ecriture changeante a chaque chapitre
du grand art - a soumettre aux directeurs de collection....
Whaaaa ca promet! Il faut deja que je me fournisse le tunnel, ca va en faire de la lecture!
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