samedi 8 juin 2013

Serait-ce à moi que tu t'adresses ? demanda le chauffeur de taxi à son miroir.

Taxi Driver, le roman adapté du film éponyme de Martin Scorsese, écrit en même temps que le film par le poète new-yorkais Richard Elman, sortira le 25 août 2013aux éditions Inculte, traduit par mes soins (enfin, surtout traduit par moi). Un roman assez atypique, loin des souvent plates novelisations auxquelles donnent lieu en général les films. Elman l'a écrit d'après le scénario, alors que le casting se précisait, ce qui lui a permis de fondre son personnage dans la peau de De Niro, par exemple. On n'y trouvera pas le fameux "You talkin' to me?", car cette scène fut improvisée pendant le tournage par le grand Bob. Le script, lui, écrit en 10 jours par un Paul Schrader démâté, se voulait une relecture de L'Etranger de Camus. Elman prend donc le parti de s'introduire dans la tête de Travis Bickle, et de ne pas lâcher le morceau:
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"Eh donc ce jour-là, j’ai commencé à tenir un journal. Pour me souvenir. Un truc pour m’empêcher de péter un câble. Pour m’occuper. Des trucs du genre : la suie tombe sur la neige comme le poivre sur ma purée. Et aussi : des types sans doigts qui lavent les pare-brises des taxis avec de grosses éponges jaunes."
Ceux qui ont vu le film se rappelleront d'ailleurs que la voix off se double de scènes où l'on voit Travis écrire sur des carnets. Et c'est ainsi que se présente Taxi Driver, le livre : le journal de bord d'un ancien vétéran du Vietnam, insomniaque et perturbé, qui cherche dans la nuit et les quartiers chauds non pas la rédemption mais une occasion de sortir du rang. Un passeur qui transbahute des âmes paumées d'un achéron l'autre, sans trouver ni la paix ni le sommeil. L'écriture d'Elman colle au flux de conscience, la ponctuation débloque, des phrases s'inachèvent, on est en train de vivre la mutation: Travis se gave de "reds" (c'est une drogue, donc c'est mauvais, hein), cherche à faire une vraie rencontre (d'abord une grande blonde puis une gamine – Jodie Foster, âgée à l'époque du tournage d'un petit quatorze ans), puis à entrer dans l'histoire par la seule déflagration de sa frustration accumulée (sachez qu'un magnum .44 peut alors se révéler très utile).
Ah, au fait, vous rappelez la scène où Travis balance tranquillement sa télé jusqu'à ce qu'elle bascule et explose? Le feuilleton qui passe alors à l'antenne n'est autre que Les feux de l'amour. Le message est clair: Taxi = Love / Driver= Story. D'ailleurs, Betsy ne dit rien d'autre: "Voir un porno, ca m'excite autant que si on me disait: 'alors on baise' ?"

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La couverture de la traduction française, sublime, est bien entendu signée Yann Legendre.

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