En plaçant le « lit » au centre de son
dernier livre, Lit national, Joy Sorman a
décidé de laisser sa phrase s’aventurer entre mort et sommeil, et cette
oscillation, qu’on retrouve aussi bien dans les contes que dans la peur du
noir, lui permet de faire son livre comme on fait un lit, non pas seulement en
en secouant les draps et lissant la couverture, mais en s’insinuant dans les
matériaux mêmes de sa composition. Ayant bénéficié d’une résidence au Lit
National, maison qui fabrique de la literie depuis 1909, et encore marquée par
la veillée funèbre auprès de sa grand-mère, Joy Sorman interroge non seulement
notre rapport à l’horizontal, au confort, au repos, à cette retraite intime où
nous sommes tantôt exposés, offerts, cachés, échoués, mais aussi ce legs qui
surgit quand ceux qui sont venus avant nous disparaissent. Ce n’est pas tant un
lit que reçoit en héritage l’auteur, mais avec lui toute une vie, une pratique,
une somme d’habitudes, une conception de l’hygiène, un compagnonnage avec le
secret.
Mais en léguant son lit, la morte laisse avant tout
à la vivante l’ombre embossée de la mort, l’empreinte d’une disparition dans un
support si quotidien qu’il ne peut que nous renvoyer à nos propres angoisses.
Comme si le lit s’inventait déjà notre dernière demeure. Il y a donc, tapie
dans la couche, entre les couches, l’idée d’un somme à jamais prolongé. Dès
lors, une autre question s’agite, s’étire, cherche le soleil : où
voudrais-je mourir. Joy Sorman s’essaie à y répondre dans le langage :
« Je voudrais mourir dans l’odeur du cuir râpé, sur la banquette arrière d’une Volvo break 300 blanche, garée à l’extrémité d’un chemin de terre qui débouche sur un petit étang couleur bronze.Je voudrais mourir dans un hamac tendu entre deux séquoias immense du Yosémite Park – un koala viendrait me donner l’extrême-onction ou réciterait le kaddish –, il ferait chaud et ma dernière vision serait celle de la cime vertigineuse de l’arbre, 80 mètres au-dessus de ma tête, découpée sur l’azur californien.Je voudrais mourir dans un train couchette qui roule vers Briançon […]. »
L’anaphore dit-elle ici autre chose que la crainte
d’aller, dans l’aventure des draps et du corps, à la rencontre de notre
négation? D’où l’insomnie, qui
fait du lit non plus une tombe de lin mais un piège où, à force d’une
involontaire et nerveuse vigilance, on s’empêche de s’abandonner à la pensée de
l’avenir.
Le lit légué, devenu fardeau, double du corps
emporté, oblige l’auteur à une tentative d’épuisement d’un lieu, tentative qui
culmine dans un étrange passage où Sorman s’interroge sur la possibilité
« dans la mort [de] cycles comparables à ceux du sommeil » :
« D’abord une mort à ondes lentes, aux mesures électriques faibles, puis une mort paradoxale, pendant laquelle le sujet rêve au purgatoire ou à l’enfer. »
Et l’auteur de se rêver alors princesse, sachant
que celles-ci ont plus d’un petit pois dans leur poche.
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Joy Sorman, Lit national, avec des photos de Frédéric Lecloux, coll. Collatéral, éd. du Bec en l'Air
Pour se consoler de devoir mourir se dire qu'à l'inverse des vies il y a très peu de morts faciles, alors y voir dans cette volonté qui précède l'ouverture du testament l'invention d'une mort de rêve, un rêve de mort qui n'aura pas besoin d'euthanasie.
RépondreSupprimerFélicitations pour le blog. J'ai vraiment aimé l'histoire.
RépondreSupprimerOn y passe un tiers de notre vie ! Le lit, c’est sacré.
RépondreSupprimerMerci pour l'information.
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